Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/236

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L’immunité, que je cherchois, étoit au delà des confins de la ſéréniſſime république ; je commençois dans ce moment là à m’y acheminer ; j’y étois déjà avec mon eſprit ; mais il falloit y aller avec mon corps. J’ai été tout droit à la porte de la Carte, qui eſt la royale du palais ducal ; et ſans regarder perſonne (moyen pour ſe faire moins regarder) j’ai traverſé la piazzetta ; je me ſuis approché au rivage ; et entrant dans la première gondole que j’ai vue là, j’ai dit au gondolier, qui étoit ſur ſa poupe appelle un autre rameur. Ce rameur accourut dans l’inſtant, et empoigna ſa rame pendant que l’autre, maître de la gondole, me demandoit où je voulois aller. J’ai répondu alors à haute voix, charmé que cinquante barcaroli étoient là à m’écouter, toujours curieux : Je veux aller à Fuſina, et ſi tu vogueras bien vite, je te donnerai un Philippe. C’étoit lui donner plus que le tarif. Le Philippe étoit une monnoie eſpagnole, qui valoit la moitié d’un cequin : on n’en voit plus. Après avoir donné cet ordre, je me ſuis jetté nonchalemment ſur le couſſin du milieu, et le père Balbi ſans chapeau, et avec mon manteau s’aſſit comme un ſubalterne ſur la banquette. La figure comique