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que j’ai pu découvrir : il eſt vrai qu’on m’a toujours payé, mais l’argent qu’on m’a donné ne m’a jamais fait tant de plaiſir, comme la ſatisfaction que j’ai reſſentie de me voir utile au glorieux évangeliſte ſaint Marc. Je me ſuis toujours moqué du préjugé de ceux qui attachent une mauvaiſe idée au nom d’eſpion : ce nom ne ſonne mal qu’aux oreilles de ceux qui à fond n’aiment pas le gouvernement, car l’eſpion n’eſt autre choſe que l’ami du bien de l’état, le fléau des criminels, et le fidelle ſujet de ſon prince. Lorsqu’il s’eſt agi de mettre en activité mon zele, le ſentiment de l’amitié, qui peut avoir quelque force ſur d’autres, n’en a jamais eu ſur moi, et encore moins ce qu’on appelle reconnoiſſance, et j’ai ſouvent juré de me taire pour arracher à quelqu’un un important ſecrêt, que d’abord ſu j’ai référé ponctuellement, aſſuré par mon confeſſeur, que je pouvois le révéler, non ſeulement parceque je n’avois pas eu intention d’obſerver le jurement de ſilence, lorsque je l’avois fait, mais parcequ’en s’agiſſant du bien public il n’y a pas de ſerment qui tienne. Je ſens qu’eſclave de mon zele j’aurois trahi mon père, et j’aurois ſu impoſer ſilence à la nature.