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guérissez, et soyez sûre de ma discretion. Elle tourna la tête de l’autre coté sans me répondre, et elle passa le reste de la journée sans convulsions.

J’ai cru de l’avoir guérie, mais dans le jour suivant les convulsions lui allerent au cerveau. Elle prononçoit dans son delire des mots latins et grecs, et pour lors on ne douta plus de la qualité de sa maladie. Sa mere sortit, et revint une heure après avec le plus fameux exorciste de Padoue. C’étoit un capucin fort laid qui s’appeloit le frere Prospero da Bovolenta.

Bettine à son apparition lui dit en eclatant de rire des injures sanglantes, qui plurent à tous les assistans, puisqu’il n’y avoit que le diable d’assez hardi pour traiter ainsi un capucin ; mais celui ci à son tour s’entendant appeler ignorant, imposteur, et puant commença à donner des coups à Bettine avec un gros crucifix disant qu’il battoit le diable. Il ne s’arreta que lorsqu’il la vit en position de lui jeter un pot de chambre à la tete, chose que j’aurois bien voulu voir. Si celui qui t’a choqué, lui dit elle, par des paroles est le diable frappe le avec les tiennes âne que tu es ; et si c’est moi apprens butor que tu dois me respecter ; et va-t-en. J’ai vu alors le docteur Gozzi rougir.

Mais le capucin, armé de pied pied en cap, après avoir lu un terrible exorcisme, somma l’esprit malin de lui dire son nom — Je m’appelle Bettine — Non, car c’est le nom d’une fille baptisée — Tu crois donc qu’un diable doit avoir un nom masculin ? Sache, capucin ignorant, qu’un diable est un ange qui n’a aucun sexe. Mais puisque tu crois que celui qui te parle par ma bouche est un diable promets moi de me répondre la vérité, et je te promets de me rendre à tes exorcismes — Oui : je te promets de te répondre la vérité — Te crois tu plus savant que moi ? — Non ; mais je me crois plus puissant au nom de la tres sainte Trinité, et en force de mon sacré caractere — Si tu es donc plus puissant empeche moi de te dire tes vérités. Tu es vain de ta barbe : tu la peignes dix fois par jour, et tu ne voudrois pas en couper la moitié pour me faire sortir de ce corps. Coupe la, et je te jure d’en sortir — Pere du mensonge, je redoublerai tes peines — Je t’en deffie.