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leçon pour lui dire à son fils après un long préambule qu’elle croyoit la maladie de Bettine effet d’un sort qu’une sorcière qu’elle connoissoit devoit lui avoir jété — Cela peut être, ma chere mere ; mais il ne faut pas se tromper. Quelle est cette sorcière ? — C’est notre vieille servante ; et je viens de m’en assurer — De quelle façon ? — J’ai barré la porte de ma chambre avec deux manches à balai croisés qu’il lui falloit decroiser voulant y entrer ; mais quand elle les vit, elle recula, et y entra par l’autre porte. C’est evident que n’étant pas sorcière elle les auroit decroisés — Ce n’est pas si evident, ma chere mere. Faites venir ici cette femme.

Pourquoi, lui dit il, n’es tu pas entrée ce matin dans la chambre par la porte ordinaire ? — Je ne sais pas ce que vous me demandez. — N’as tu pas vu sur la porte la croix de S. André ? — Qu’est ce que cette croix ? — Tu fais en vain l’ignorante, lui dit la mere. Où as tu couché Jeudi passé ? — Chez ma niece qui est accouchée — Point du tout. Tu es allée au sabbat, car tu es sorcière ; et tu as ensorcelée ma fille.

À ces mots la pauvre femme lui cracha au nez, et le docteur courut tenir sa mere qui avoit pris sa cane pour la rosser. Mais il dut courir après la servante qui descendoit l’escalier en criant pour soulever les voisins. Il l’apaisa lui donnant de l’argent, et il prit l’accoutrement de pretre pour exorciser sa sœur, et voir si elle avoit réellement le diable au corps. La nouveauté de ces mysteres attiroit toute mon attention. Ils me sembloient tous fous ou imbéciles. Je ne pouvois me figurer des diables dans le corps de Bettine sans rire.

Lorsque nous approchâmes de son lit la respiration paroissoit lui manquer, et les conjurations que lui fit son frere ne la lui rendirent pas. Le médecin Olivo survint lui demandant s’il etoit de trop, et le docteur lui dit que non s’il avoit de la foi. Le médecin alors s’en alla lui répondant qu’il n’en avoit que pour les miracles de l’évangile. Le docteur rentra dans sa chambre, et m’étant resté seul avec Bettine je lui ai dit à l’oreille ces paroles : prenez courage,