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Riant en moi même de toutes les fausses histoires, et des circonstances qui se combinent pour leur donner le caractere de la verité, je suis devenu jusque de ce tems là grand pyrrhonien en fait de verités historiques. Je jouissois d’un vrai plaisir, nourrissant, precisement par ma reserve, dans la tete de l’abbé Cornaro la croyance que je fusse le meme Casanova dont la gazette de Pesaro parloit. J’etois sûr qu’il en ecriroit à Venise, où ce fait me feroit honneur, au moins jusqu’au moment où on parviendroit à savoir la verité, qui pour lors justifieroit ma fermeté. Par cette raison je me suis determiné d’y aller d’abord que j’ai reçu une lettre de Therese. J’ai pensé de la faire venir à Venise : c’étoit à Venise que je pouvois l’attendre beaucoup plus comodement qu’à Bologne ; et rien n’auroit pu dans ma patrie m’empecher de l’epouser publiquement. En attendant cette fable m’amusoit. Je m’attendois tous les jours à la voir tirée au clair sur la gazette. L’officier Casanova devoit rire du cheval sur le quel le gazettier de Pesaro l’avoit fait partir, tout comme je riois du caprice que j’avois eu de m’habiller en officier à Bologne pour donner matiere à tout ce conte.

Le quatrieme jour de ma demeure dans cette ville j’ai reçu une grosse lettre de Therese par les mains d’un exprès. Cette lettre enfermoit deux feuilles volantes. Elle me disoit que le lendemain de mon depart de Rimini, le baron Vais avoit conduit chez elle le duc de Castropignano qui après l’avoir entendue chanter au clavessin lui avoit offert mille onces pour un an, et voyage payé, si elle vouloit chanter sur le théatre de S. Charles. Elle devoit y être dans le mois de May. Elle m’envoyoit la copie de l’ecriture qu’il lui avoit faite. Elle lui avoit demandé huit jours pour lui donner une reponse, et il les lui avoit accordés. Elle n’attendoit que la reponse à la lettre qu’elle m’envoyoit pour signer l’écriture du duc, ou pour refuser son offre.

L’autre feuille volante étoit une écriture qu’elle me fesoit directement par la quelle elle s’engageoit à mon service pour toute sa vie. Elle me disoit que si je voulois aller à Naples avec elle, elle iroit me rejoindre je lui marquerois, et que si j’avois de l’aversion (trois mots biffés presque illisibles probablement à retourner à) à retourner à Naples, je devois mepriser cette fortune, et etre certain qu’elle ne connoissoit ni autre fortune ni autre bonheur que celui de faire tout ce qui pouvoit me rendre content et heureux.

Cette lettre m’ayant mis dans la necessité de penser, j’ai dit à l’exprès de retourner le lendemain. Je me trouvois dans la plus grande irresolution. Ce fut pour la premiere fois de ma vie que je me suis trouvé dans l’impuissance de me determiner. Deux motifs egaux en force dans