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tout autre charme, et d’ailleurs le seul D. Francesco doit actuellement l’occuper toute entiere, et je dois me garder de troubler la paix des menages. Je peux encore te dire que ta sœur a un esprit different du tien. Dans cette nuit ta sœur egalement que moi nous fumes les victimes de nos sens. C’est si vrai qu’il ne me semble pas de t’avoir manqué. Mais Angelique, vois tu ? Angelique doit être deja fachée de s’être laissée seduire par la nature. — Tout cela peut être vrai ; mais ce qui me desole est que nous partirons le dernier de ce mois. Mon mari est sûr d’obtenir la sentence dans cette semaine. Voila nos jouissances finies.

Cette nouvelle m’a rendu triste. Je ne À table je ne me suis plus occupé que du genereux D. Francesco, au quel j’ai promis un epitalame pour le jour de ses noces qu’on devoit faire en Janvier.

Nous retournames à Rome, et D. Lucrezia en trois heures, que nous passames l’un vis à vis de l’autre, ne put jamais me convaincre d’être que je fusse moins amoureux d’elle que je ne l’etoist avant qu’elle m’eut mis en possession de toutes ses richesses. Nous nous arretames à la petite maison où nous avions dejeuné la veille pour prendre des glaces que D. Francesco nous avoit fait faire. Nous arrivames à Rome à huit heures. Ayant grand besoin de me reposer, je suis d’abord allé à l’hotel d’Espagne.

Trois, ou quatre jours après, l’avocat vint prendre congé de moi avec des paroles tres obligeantes. Il retournoit à Naples après avoir gagné son procès. Comme il partoit le surlendemain, j’ai passé chez D. Cicilia les deux dernieres soirées de son sejour à Rome. Ayant su l’heure à la quelle il devoit partir, je suis allé deux heures auparavant pour m’arreter là où je croyois qu’il devoit coucher pour avoir le plaisir de souper avec lui pour la derniere fois ; mais un contretems l’ayant forcé à differer son depart de quatre heures, je n’ai eu autre plaisir que celui de diner.

Après le depart de cette rare femme, je me suis trouvé avec l’ennui que cause au jeune homme le cœur vide. Je passois toute la journée dans ma chambre fesant des sommaires de lettres françoises du cardinal même, qui eut la bonté de me dire qu’il trouvoit mes extraits tres judicieux ; mais que je devois absolument travailler moins. Madame G. étoit presente à ce compliment tres flatteur. Après la seconde fois que j’avois été lui faire ma cour, elle ne m’avoit plus vu. Elle me boudoit. Entendant le reproche que de travailler trop que le cardinal me fit, elle lui dit que je devois travailler pour dissiper mon ennui après le depart de D. Lucrezia — C’est vrai, madame, j’y ai eté tres sensible. Elle étoit bonne ; et elle me pardonnoit, si je ne pouvois pas aller souvent chez elle. Mon amitié d’ailleurs étoit innocente — Je n’en doute pas ; malgré qu’on trouve dans votre ode le