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m’y plairois — Je pourrois donc esperer que vous permettriez que je vous fisse ma cour ? — Vous nous feriez honneur, dit l’avocat.

La belle rougit, j’ai fait semblant de ne pas la voir, et dans des charmans propos nous passames la journée si agreablement que la precedente. Nous nous arretames à Terracina, où on nous donna une chambre à trois lits ; deux etroits, et un large entre les deux. Ce fut tout simple que les deux sœurs se coucherent ensemble dans le grand lit, tandis que je causois à table avec l’avocat ayant tous les deux le dos tourné vers elles. L’avocat alla se coucher dans le lit où il vit son bonnet ; et moi dans l’autre qui n’etoit distant du grand que d’un pied, sa femme se trouvant de mon coté. Sans fatuité, je n’ai pas pu me determiner à croire que cet arrangement n’ait dependu que du hazard. Je brulois deja pour elle.

Je me deshabille, j’eteins la chandelle, et je me couche ruminant un projet tres inquietant, car je n’osois ni l’embrasser, ni le rejeter. Je ne pouvois pas m’endormir. Une tres foible lueur qui me laissoit voir le lit où cette charmante femme étoit couchée me forçoit à tenir les yeux ouverts. Dieu sait à quoi je me serois decidé à la fin, car il y avoit deja une heure que je combattois, lorsque je la vois l’ai vue sur son séant, puis sortir du lit, faire le tour tres doucement, et aller dans le lit de son mari. Après cela, je n’entens plus ai plus entendu le moindre bruit.

Cet evenement me deplut au supreme degré, me depita, et me degouta tellement, que me tournant de l’autre coté, je me suis endormi pour ne me reveiller qu’à la pointe du jour ; je vois j’ai vu la dame dans son lit.

Je m’habille de tres mauvaise humeur, et je sors les laissant tous endormis. Je vais me promener, et je ne retourne à l’auberge que dans le moment que la voiture étant prête à partir, les dames, et l’avocat m’attendoient.

La belle d’un air doux, et obligeant se plaint de ce que je n’avois pas voulu de son caffè. Je m’excuse sur le besoin que j’avois eu d’aller me promener. J’ai passé toute la matinée, non seulement sans parler ; mais sans la regarder. Je me plaignois d’un grand mal aux dens. Elle me dit à Piperno, où nous avons diné que ma maladie étoit de commande. Ce reproche me fit plaisir car il me mettoit en droit de venir à une explication.

L’après diné j’ai joué le meme role jusqu’à Sermoneta, où nous devions coucher, et où nous arrivames de tres bonne heure. La journée etant belle, la dame dit qu’elle iroit volontiers faire quatre pas, me demandant d’un air honnête, si je voulois lui donner le bras. J’y ai d’abord consenti. La politesse ne me permettoit pas de faire autrement. J’avois le cœur navré. Il me tardoit de retourner à être le même ; mais après une explication qu’il falloit amener ; mais et je ne savois pas comment.

D’abord que je me suis vu assez eloigné de son mari qui donnoit le bras à sa sœur, je lui ai demandé à quoi elle pouvoit avoir connu que mon mal aux dents étoit