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Chapitre VIII

Mes malheurs à Chiozza. Le pere Steffano recolet. Lazaret d’Ancone. L’esclave grecque. Mon pelerinage à la sainte maison de notre Dame de Lorette. Je vais à Rome à pieds. Puis à Naples pour trouver l’eveque, que je ne trouve pas. Je trouve le moyen d’aller à Martorano, que je quitte d’abord pour retourner à Naples.

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Cette cour de l’ambassadeur qu’on appeloit une grande cour ne me sembloit pas quelque chose de grand. Elle étoit composée d’un maitre d’hotel milanois qui s’appeloit Carnicelli, d’un abbé qui lui servoit de secretaire parcequ’il ne savoit pas écrire, d’une vieille femme qu’on appeloit de charge, d’un cuisinier, et de sa femme fort laide, et de huit à dix laquais.

En descendant à Chiozza à midi j’ai poliment demandé à M. Carnicelli où j’irois me loger — Où vous voudrez. Faites seulement que l’homme que voila sache où vous êtes pourqu’il puisse aller vous avertir lorsque la Tartane mettra à la voile pour Ancone. Mon devoir est de vous mettre dans le lazaret d’Ancone franc de dépense du moment dans le quel nous partirons. Jusqu’à ce moment là divertissez vous.

Cet homme que voila etoit le maitre de la Tartane. Je lui demande où je pouvois me loger — Chez moi, si vous vous contentez de coucher dans un grand lit avec monsieur le cuisinier, dont la femme couchera à bord de ma Tartane.

J’y consens, et un matelot vient avec moi portant ma mâle qu’il met sous le lit, parceque le lit occupoit toute la chambre. Après avoir ri de cela, car il ne me convenoit point du tout de faire le difficile, je vais diner à l’auberge, puis je vais voir Chiozza. C’est une presqu’-ile, port de mer de Venise, peuplée de dix mille ames matelots, pecheurs, marchands, gens de chicane, et employés aux gabelles, et finances de la republique. Voyant un caffè, j’y suis entré. Un jeune docteur en droit, qui avoit été à Padoue mon condisciple, m’embrasse, et me presente à l’apoticaire, qui avoit sa boutique à coté du caffè, où, me dit il, tous les gens de lettres s’assembloient. Un quart d’heure après, un grand moine Jacobin, borgne, et Modenois, nommé Corsini, que