pouvant plus j’ai appuyé ma main sur la sienne de façon
qu’elle se crut en devoir de cesser d’insister, et de finir. Elle dut
m’en vouloir, car decelant son jeu j’avois manqué de discretion.
Elle devint serieuse, et n’osant plus ni rire ni me parler nous allames
dans la guerite où le major montroit à sa mere le depot
du corps du Marechal de Schoulembourg qu’on tenoit là jusqu’à
ce qu’on lui eut fait un mausolée. Mais ce que j’avois
fait m’avoit mis dans un tel état de honte que je me hayssois,
et je ne doutois pas non seulement de sa haine ; mais de son
plus haut mepris. Il me sembloit d’etre le premier coupable
qui avoit allarmé sa vertu, et je ne me serois refusé
à rien si on m’eut indiqué le moyen de lui faire une
reparation. Telle étoit ma delicatesse à l’age que j’avois
alors, fondée cependant sur l’opinion que j’avois de la
personne que j’avois offensée, et dans la quelle je pouvois
me tromper. Cette bonne foi de ma part diminua toujours
dans la suite jusqu’à ce qu’elle parvint à un tel degré de
foiblesse qu’il ne m’en reste aujourd’hui que l’ombre. Malgré
cela je ne me crois pas plus mechant que mes egaux en
age, et en experience.
Nous retournames chez le comte, et nous passames le reste de la journée tristement. À l’entrée de la nuit, les dames partirent. J’ai du promettre à la comtesse mere de lui faire une visite au pont de Barbe Fruttarol, où elle me dit qu’elle demeuroit.
Cette demoiselle, que je croyois d’avoir insultée, me laissa une si forte impression que j’ai passé sept jours dans la plus grande impatience. Il ne me tardoit de la voir que pour obtenir mon pardon après l’avoir convaincue de mon repentir.
Le lendemain j’ai vu chez le comte son fils ainé. Il étoit laid, mais je lui ai trouvé l’air noble, et l’esprit modeste. Vingt