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Il me conduisit alors ayant l’air un peu faché à l’ecole de dogmatique, mes camarades de dortoir furent étonnés de me voir. L’après diner à la recréation ils devinrent tous mes amis, me firent cercle, et me mirent de bonne humeur.

Un beau seminariste agé de quinze ans, qui aujourd’hui à moins qu’il ne soit mort, est eveque, fut celui dont la figure, et le talent me frapperent. Il m’inspira l’amitié la plus forte, et dans les heures de recréation, au lieu de jouer aux quilles, ce n’etoit qu’avec lui que je me promenois. Nous parlions poesie. Les plus belles odes d’Horace fesoient nos delices. Nous preferions l’Arioste au Tasse, et Petrarque etoit l’objet de notre admiration, comme Tassoni, et Muratori qui l’avoient critiqué l’etoient de notre mepris. Nous devinmes en quatre jours si tendres amis que nous etions jaloux l’un de l’autre. Nous boudions lorsque l’un de nous quitoit l’autre pour se promener avec un troisieme.

Un moine layque laïque surveilloit à notre dortoire. Son inspection etoit d’en conserver la police. Toute la chambrée après souper precedée par ce moine qu’on appelle prefet alloit au dortoire ; chacun s’approchoit de son lit, et après avoir fait sa priere à voix basse, se deshabilloit, et se couchoit tranquillement. Lorsque le prefet nous voyoit tous couchés, il se couchoit aussi. Une grande lanterne eclairoit ce lieu qui etoit un carré long de quatre vingt pas, large de dix. Les lits etoient placés à egales distances. À la hauteur de chaque lit il y avoit un escabeau en prie Dieu, un siege, et la mâle du seminariste. À un bout du dortoire il y avoit le lavoir d’un coté, et de l’autre le cabinet qu’on appelle la garderobe. À l’autre bout près de la porte il y avoit le lit du prefet. Le lit de mon ami etoit de l’autre coté de la sale vis à vis du mien. La grande lanterne se trouvoit entre nous deux.

La principale affaire qui appartenoit à la surveillance du prefet etoit celle de bien voir qu’un seminariste n’allat se coucher avec