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mes vacances au congo

« Partir, c’est mourir un peu » a chanté Haraucourt. À quitter ainsi cette terre congolaise qui nous est déjà devenue presque familière, une nuance de regret se mêle, quoi qu’on en ait, aux souriantes perspectives du retour au foyer. Le souvenir de tout ce qui fut incommode ou difficile s’estompe rapidement. Et la mémoire évoque avec complaisance tant d’incomparables visions définitivement quittées. Certaines impressions se précisent et se classent sur un nouveau plan. Nous comprenons mieux encore ces énergies humaines que nous avons vues aux prises avec cette nature généreuse où rien n’est étriqué ni mesquin. Reverrons-nous jamais ces larges horizons de brousse roussâtre, ces immenses savanes avec leurs aspects de vergers abandonnés, ces forêts ténébreuses, aux parfums et aux bruits mystérieux, où la vie se compose, se décompose et se recompose si vite, ces nuits claires sous la voûte infinie toute criblée de clous d’or, toutes ces races primitives aux mœurs curieuses et aux mentalités d’enfants et surtout cette vie libre et large, où l’individu n’est pas entravé à chaque pas par les contraintes des civilisations raffinées ? Je m’explique qu’on en éprouve promptement l’obsession. Je comprends les vieux coloniaux qui, après avoir maudit l’Afrique lorsqu’ils y étaient, ne l’ont pas plutôt laissée derrière eux qu’ils rêvent d’y retourner. Tels les fameux vétérans de Raffet qui « grognaient, mais marchaient toujours ». Après avoir juré de ne plus s’exposer au risque et à l’aventure, combien en est-il, parmi nos Congolais rentrés au pays natal, qui — après quelques semaines dépensées vainement à essayer de reprendre place dans notre vie bourgeoise tirée au cordeau, — s’en vont rôder aux environs de la rue Brederode en ru-