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MES VACANCES AU CONGO

bateau venait d’Extrême-Orient, et nous étions en novembre, — je me trouvai seul voyageur de première classe à bord. Seul, je me trompe. Du « promenade-deck » au salon, du fumoir à la « speizsaal », j’étais poursuivi par les flonsflons d’un impitoyable orchestre qui me servait, à jet continu, tout le répertoire des Strauss et des sous-Strauss. Dans tous les couloirs, au pied de tous les escaliers, de solennels « stewards » se mettaient au port d’arme à mon approche. À chaque repas, un maître d’hôtel stylé et gourmé présentait à mon choix un interminable menu, luxueusement imprimé et orné d’aimables fioritures. Bien plus, un journal quotidien m’était remis chaque matin en son unique exemplaire. Il me parut que tant d’embarras étaient pour le moins inutiles, d’autant qu’ils s’accordaient très mal avec mon humeur du moment. Ayant donc demandé audience au capitaine, qui ne descendait jamais de sa dunette, je sollicitai la faveur d’être délivré de la musique, des « stewards » galonnés, du journal imprimé et du reste ; les services d’un seul homme pouvaient me suffire. Hélas ! ma requête n’eut aucun succès. Le capitaine me répondit que rien ne pouvait être changé à ces rites quotidiens et à tout ce décor, quand bien même il n’y aurait pas le moindre passager à bord. Ainsi le prescrivaient les règlements. Ainsi l’exigeait aussi, m’expliqua-t-il, le sentiment d’une discipline méthodiquement allemande : à quoi employer ces musiciens, si leurs instruments devaient être condamnés au silence ? À quoi occuper tout ce personnel abondant