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ÉCRITS ET LETTRES CHOISIES

tout de même quelque chose de nouveau dans le monde. L’homme ne s’ignore plus, il entend les cris de souffrance lointaine, ou dort mal quand les gémissements du voisin percent la muraille. Le télégraphe, la presse ont aminci la paroi qui séparait les voisins ; on est forcé d’entendre, et pour le repos il faut que le voisin souffre moins. Aussi l’âme humaine moderne n’a plus de repos depuis qu’elle se sait illimitée dans le monde, et c’est elle-même qui partout se lamente sous la torture de la violence.

Nous travaillons tous ensemble, les enfants ont fait de grands progrès. J’ai aussi mieux compris bien des choses, entre autres qu’il ne faut jamais espérer aucune trêve, que, si la jeunesse est vive et impulsive, l’âge mûr exige une vigilance active. Notre bateau se remplit de monde, il faut songer à plus de choses, à celles qu’on savait, à celles qui se découvrent sur notre route. Tout est donc bien, cher ami, tel que tout est, et si nous désirons comprendre avec sincérité, nous y trouvons à la fois la résignation à la logique de toutes les acceptations comme de toutes les résistances.

A bientôt, cher ami, mes hommages à votre chère et charmante femme, si parfaitement bonne d’espoir, à tous vos enfants et à vous, cher ami, en bonne fraternité d’esprit et de cœur.

Votre fidèle ami.