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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

où les bruits de la terre ne sauraient arriver, et je repris mes courses d’autrefois. Un courant d’air froid réduisit mon volume qui était immense. Je redevins visible, et je formai le noyau d’un nuage, mes sœurs se combinant une à une, deux à deux, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le nuage eût acquis une certaine intensité. Nous fûmes chassées par un vent très-fort ; et comme nous planions sur l’Atlantique, nous rencontrâmes un autre nuage chargé de l’électricité contraire à celle que nous recélions. De là ces décharges qui produisent les éclairs et les tonnerres, ces orages furieux qui sont la terreur des matelots ! Nous voyions de pauvres navires ballottés sur les eaux, d’autres démâtés, et les équipages qui les montaient bravant la mort cent fois par heure, pour veiller au salut de quelques planches commises à leur garde, bien plus qu’au leur propre. Tout ce tapage infernal finit par une pluie diluviale, et je tombai enfin dans cette mer que j’avais tant désiré connaître !

J’espérais être arrivée au terme de mes épreuves et de mes voyages ; je crus toucher au repos dont je sentais si vivement le besoin. Combien j’étais loin de ces beaux rêves de ma jeunesse quand, ne tenant aucun compte des événements accomplis en dehors de mon humble sphère d’action, je ne comprenais pas que je dusse être jamais soumise à leur influence, ni que rien pût m’arracher au culte de