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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

couler capricieusement le long des bords. Là, je rencontrerais mille obstacles qui ralentiraient ma course et me permettraient d’observer à loisir la fleur qui se penche sur l’eau, l’insecte qui chasse, le coquillage qui s’enfouit dans le sable à l’approche du danger, et ces myriades de petits poissons fuyant la voracité de leurs ennemis sous l’abri des plantes aquatiques.

Je marchais donc le plus lentement possible, et le printemps avait ranimé toute la nature que je n’étais pas encore arrivée dans la grande ville. Un matin, m’étant aventurée loin du rivage protecteur, je fus puisée pour le service de la machine d’un bateau à vapeur. Mise dans la chaudière, je fus pendant plusieurs jours vaporisée et condensée tour à tour ; et ce n’était pas sans orgueil que je sentais ma force d’expansion contribuer au mouvement accéléré de cette vaste embarcation. Cependant, je me fatiguai promptement de cette réclusion, et je parvins à m’échapper dans une bouffée de vapeur. Mais, hélas ! une pluie battante me précipita de nouveau dans la Seine, à Paris même ; et ses quais si vantés me semblèrent bien inférieurs aux vertes rives entre lesquelles j’avais si souvent coulé. Mêlée aux hideux débris que la grande ville vomit dans le fleuve par ses mille égouts, j’espérais, en me voyant presque hors de Paris, échapper enfin à leur contact flétrissant, quand je