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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

raient même qu’il y eût un autre monde. Nés avec la fleur, ils devaient mourir avec elle. Garantis des intempéries par son tissu délicat, enivrés de ses parfums, ils ne voyaient du ciel que juste ce qu’il en fallait pour rappeler celui qui leur avait donné l’être ; et aucune appréhension du danger ne troublait cette voluptueuse sécurité.

J’enviai un moment leur sort, moi, pauvre créature errante, soumise aux moindres variations atmosphériques, douée d’une quasi-éternité, et condamnée à vagabonder sur la terre et à remonter sans cesse dans l’espace pour en être précipitée sans cesse, jusqu’à ce que, retrouvant mon expansion première, je me perdisse dans l’éther où flottent les mondes ! du moins, je l’espérais ainsi, ignorante que j’étais des lois qui régissent notre planète ; mais j’étouffai bientôt ces regrets qui rendaient plus pénibles encore les vicissitudes auxquelles j’étais soumise. Et puis, l’agitation et la souffrance n’ont-elles pas un sens ? n’est-ce pas la vie ? L’aspiration au mieux éternel vers lequel tend toute créature intelligente ne comporte pas cette quiétude absolue et pleine d’égoïsme qui constituait la félicité de mes petits voisins. Jouissant donc de l’instant de calme qui m’était accordé, je me roulai amoureusement sur ma couche de velours blanc. Une chèvre alléchée par la beauté de l’arbuste qui nous recelait vint en brouter les fleurs en se dressant le long du