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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

rondir en gouttelette sur le front de la malade. La jeune fille, qui guettait avec anxiété l’effet du médicament, me recueillit religieusement sur ses lèvres brûlantes dont l’ardeur me vaporisa aussitôt, et elle s’écria avec élan :

« Sauvée ! sauvée ! Merci, ô mon Dieu ! »

Elle tomba à genoux devant le crucifix qui était attaché à la muraille auprès du lit. La malade ayant demandé de l’air, on ouvrit la fenêtre et je m’échappai.

Je parcourus de grandes distances, veillant bien cette fois à éviter les pics neigeux, et recommençant cette joyeuse ascension vers le soleil, à laquelle j’avais trouvé tant de charmes. Mais par une nuit étoilée, l’air s’étant trop refroidi pour me tenir plus longtemps en suspension, je fus ramenée vers la terre, et, perle encore, je me trouvai dans le pétale concave d’une magnifique fleur de câprier qui crois sait sur une vieille muraille, et dont l’odeur subtile embaumait les alentours. Au fond de la corolle nichait toute une famille d’insectes microscopiques, vivant du pollen que leur fournissaient incessamment les mille étamines empourprées qui s’épanouissaient au-dessus de leur asile et les abritaient de leur ombre. Ces petits animaux se désaltéraient au nectaire de la fleur, et leur univers se bornait à ce délicieux réduit où s’accomplissait leur obscure destinée, exempte de toute inquiétude : car ils igno-