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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

la chambre d’une malade qu’elle courut embrasser avec amour. C’était sa mère !

Le médecin mit dans un verre je ne sais quelle préparation qu’il étendit d’eau prise dans le vase qu’on venait d’apporter, et je fus précipitée une des premières dans le breuvage. Je me repentis amèrement de la curiosité qui m’avait fait monter à la surface, car j’avais instinctivement horreur du sort qui m’était réservé, et je demandais sans cesse à Dieu que cette humiliation me fût épargnée. Ah ! je reconnus alors combien avait été grande la sagesse de celles de mes sœurs qui s’étaient tenues modestement au fond du vase ! mais j’étais jeune, sans expérience, et avide de tout voir, de tout connaître ! Pendant que la jeune fille, en remuant le breuvage, prolongeait mon angoisse, le médecin lui disait : « Si le médicament opère, la malade, après un long assoupissement, aura une abondante transpiration, et alors tout danger disparaîtra. »

La pieuse fille souleva bien doucement la tête de cette mère chérie, et d’une main tremblante elle lui présenta la potion. Tout espoir avait abandonné la pauvre femme : avant de boire, elle porta les yeux sur sa fille et une larme brûlante s’en échappa, éloquent et muet témoignage de la douleur qu’elle ressentait à l’idée de la laisser seule en ce monde ! Elle prit cependant le verre qu’on lui offrait, mais en faisant un signe d’incrédulité.