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D’UNE FOURMI.

Si les guerriers tombaient en luttant et sans se quitter, des fourmis de chaque parti venaient s’accrocher aux jambes de leurs compagnes pour tâcher de les arracher à l’ennemi ; elles-mêmes étaient tirées par d’autres, et l’on en voyait de chaque côté des chaînes de huit, dix, et même de vingt.

La nuit put seule séparer ces ennemis furieux, qui, n’ayant rien mangé de la journée, n’avaient pas, comme les légionnaires, des esclaves pour leur donner la miellée en rentrant ; mais ils ne se quittèrent que pour recommencer le combat au point du jour.

« La guerre est donc partout ? me dit tristement mon élève. Ah ! fuyons ces lieux, ma bonne amie, je vous en prie !

— Mon enfant, lui répondis-je, si tu n’étais pas née dans l’esclavage, tu connaîtrais la force du sentiment qui pousse ces guerriers à combattre pour leur indépendance. »

Nous avancions dans le bois et nous nous étions arrêtées à l’ombre d’un vieux chêne, portant de tous côtés nos regards sur tant de choses si nouvelles pour nous ; notre attention fut captivée par une belle fourmi noire et luisante comme je n’en avais jamais vu. Elle sortait d’un petit trou pratiqué au bas du tronc de l’arbre colossal. Une autre la suivit, puis d’autres encore, et enfin une file interminable.

Ne connaissant pas ces peuplades, ignorant ce que j’avais à en craindre, mais voulant me faire