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D’UNE FOURMI.

Au bout de quelques jours je reconnus que nos nouveaux maîtres, plus actifs que les légionnaires, étaient aussi plus féroces. Ils allaient souvent à la chasse de très-petites fourmis noires qu’ils dévoraient sans pitié. Les sanguines, pour mieux surprendre cette proie, s’embusquaient sous quelques brins d’herbes aux environs de la demeure de ces pauvres petits insectes, afin de s’élancer sur eux quand ils reviennent au gîte. Heureusement pour les peuplades pacifiques, ces conquérants endurcis se font de temps en temps une guerre à mort ; ils s’attaquent aussi à des fourmis inférieures en force, mais vaillantes et acharnées. Nous les avons vus souvent revenir, ayant encore accrochée aux pattes la tête de leurs ennemis à qui la mort n’avait pas fait lâcher prise ; d’autres fois ils traînaient pendant longtemps des corps entiers dont ils ne pouvaient se débarrasser.

Un jour que j’étais en chasse de pucerons pour augmenter les troupeaux de nos nouveaux maîtres, je vis un parti de fourmis hercules se diriger vers notre demeure. Les sanguines averties à temps se tinrent en embuscade, et sautant à l’improviste sur les plus téméraires, elles inondèrent de venin leur poitrine et leur bouche ; d’autres se prirent corps à corps et roulèrent sur la poussière sans quitter l’ennemi. Lorsque les sanguines virent approcher le gros de la troupe des agresseurs, elles envoyèrent