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berville demanda deux canots armés de 7 hommes chacun, avec lesquels il aborderait le vaisseau, et que le reste du détachement, en cas de résistance, ferait feu sur les Anglais. Nous n’en fumes pas à la peine, car M. D’Iberville monta sur le vaisseau sans opposition, tout le monde, au nombre de quinze, étaient endormis. Le Général Brigur (Bridgar) était dessus et un capitaine d’un vaisseau qui, l’automne précédente avait fait naufrage dans ces côtes, lequel saisit M. D’Iberville au collet ; mais comme M. D’Iberville était fort et vigilant, lui fendit la tête d’un coup de sabre, et tomba mort sur son lit ; un matelot fut aussi tué en dormant. Comme l’action fut courte et que le signal fut donné, nous fûmes au fort, duquel nous enfonçâmes la porte d’un coup de bélier. Quoique nous fussions maîtres du fort (batiment) nous ne l’étions pas du bâtiment, (fort) car s’il y avait eu dix bons hommes ils nous auraient battus, parce que, comme je vous l’ai dit, leurs maisons sont de pièces en pièces. A celle-ci il y avait quatre guérittes pendantes, et un degré de rampe pour monter au plan-pied ; par conséquent le bélier mutilé, notre mousqueterie ne cessait de tirer aux embrassurs des fenêtres. Deux petits canons que nous avions apportés furent braqués sur la porte, sans que les assiégés fissent aucun mouement. Il y avait une échelle qui portait sur la maison, un soldat et un Canadien y montèrent avec des grenades, après avoir fait ouverture avec une hache, par laquelle ils jettèrent des grenades qui tombaient dans une grande salle où toutes les chambres répondaient, avec un effet admirable. Une dame échappée du naufrage du vaisseau dont j’ai parlé, s’y était réfugiée ; croyant que le feu était à la maison par l’éclat des grenades, se hasarda d’entreprendre de vouloir ouvrir la porte, à la lueur d’un éclat de grenade. Le commandant l’aperçut, et lui cria de se retirer, qu’il allait ouvrir la porte ; ce qu’il fit effectivement en passant devant une fenêtre où la mousqueterie ne cessait de tirer, sans qu’il en fut atteint. La porte ouverte, j’étais avec M. D’Iberville et plusieurs autres ; nous entrâmes.

Je m’étais muni d’une chandelle, et monté dans les apartements, c’est-à-dire dans la salle, sans trouver personne. Une voix plaintive me fit ouvrir la porte d’un cabinet, où je trouvai cette Anglaise en chemise, toute ensanglanté, par l’effet d’un éclat de grenade, dans la hanche. Ma présence, si l’on en juge par son cri piteux, lui fit autant impression que le bruit de la grenade, puisque nous ressemblions à des bandits. Par ces cris elle demandait M. Docte (Doctor), que je repetai à grands cris. Aussitôt parut le chirugien qui me demanda cartier. Je le menai au cabinet de la dame. Quoique ma figure ne lui fut point agréable, elle eut la reconnaissance, en ce que je mis un fauteuil devant sa porte pour que personne n’y entrât que les officiers. La scène étant finie, et le jour venu, chacun courait à la pitance. On amena du vaisseau le Général Brigeur, (Bridgar) qui proposa à M. DeTroys de lui rendre