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Dès le soir nous partîmes et furent à nos vedettes, qui nous dirent que le vaisseau était parti. Les Sieurs de St. Hélène et d’Iberville furent à la découverte de si près qu’ils sondèrent les canons qui n’étaient point chargés ; cela n’empêcha pas que l’on ne suivit le premier projet, qui était de couper la palissade pour faire une brèche, où les soldats étaient destinés que je commandais.

En outre nous avions fait un bélier, porté par les Canadiens qui en deux coups rompirent les pentures des portes, ce qui fit cesser la brèche. Etant maitres du fort nous ne l’étions pas du bâtiment, qui était carré, de pièces sur pièces, de vingt pieds de hauteur ; le dessus fait en pont de navire, avec un garde-corps avec des petits canons de 2e ; au-devant de la porte il y avait un tambour de pieux qui empêchait la jouissance du bélier, lequel il fallut démontrer et ensuite la porte fut enfoncée. Néanmoins répoussés et retenue par les assiégés, en sorte que le Sieur d’Iberville était pressé entre la porte et le poteau, sans que nous puissions le dégager, ayant un pistolet à la main le tira à tout hasard, ce qui épouvanta les assiégés, qui nous abandonnèrent la porte. On apporta en peu de temps de la lumière que nous avions dans les lantermes, et fûmes dans les appartements, où les Anglais nous demandèrent cartier. Ils étaient au nombre de quinze. Il n’y eu que leur canonnier de tué, à qui M. de St. Hélène donna un coup de fusil au milieu du front, par un des sabards d’en haut, où il chargeait un canon avec des morceaux de gros verre cassé. L’action dura environ deux heures, pendant laquelle on ne cessa de fusiller les fenêtres et sabords.

Devant le port il y avait un bâtiment échoué, qui avait été pris sur les Français de Québec ; on se détermina à le mettre en état de naviguer, pour nous en servir à transporter les canons pour la prise des autres forts. Après, huit jours de séjour, pendant lesquels nombre de sauvages vinrent en traite, nous partîmes par la droite de la baie, en sortant, pour aller prendre le fort Rupert, distant de celui-ci de quarante lieues, afin de tacher de surprendre le vaisseau qui y faisait route. En effet, comme nous étions sur une pointe, nous vîmes le vaisseau à travers les glaces flottantes. Comme elles étaient au vent à nous, nous en ressentions la fraîcheur comme au plus fort de l’hiver. Le vent ayant cessé le 2e jour, 27 Juin, nous trâversâmes cette baie à travers les glaces qui était comme des iles flottantes, qui étaient au gré du vent, sur lesquelles et aux environs il y avait un nombre infini de loups-marins et de canage (canard) de mer. La traversée faite, nous y trouvâmes trois sauvages qui voulaient s’enfuir, nous ayant pris pour des Iroquois, ayant beaucoup de crainte de cette nation quoi qu’ils ne les aient jamais vus. Nous continuâmes notre route, gardant à vue le vaisseau, qui fut mouillé devant le fort, à la portée du fusil. Les officiers Canadiens furent le soir à la découverte, à travers les bois, et sur leurs opinions, M. D’I-