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ger de mouiller l’ancre un peu au-dessous de nous pour ne pas échouer en voulant passer devant nous. D’abord nous y envoyames 10 ou 12 fusiliers pour s’y poster parmi des roches entrecoupées derrière lesquels ils seraient à couvert du canon ennemi et d’où ils pourraient les incommoder et les empêcher à coups de fusils de se faire touer s’il leur prenait envie de s’approcher davantage, et pour en venir mieux à bout et leur donner plus de terreur nous y fîmes porter la couleuvrine de la barque. Sur le tard la fregate vint se poster en ce même endroit et mouiller l’ancre à notre vue, mais un peu trop loin pour nous nuire. D’abord on les salua de la pointe, ce qui les obligea de se mettre à couvert de leurs gardecorps, et d’entourer et fortifier leurs bandages avec des cables pour arrêter leurs balles, tellement qu’on ne voyait plus dans leur bord que des sabres dégainés, que le Brilleur (John Bridgar) et quelques autres fanfarons faisaient briller en l’air. Après cette rodomontade ils tirèrent deux coups de canon contre le rocher à quelques brasses au dessus de nos gens qui leur répondirent avec la couleuvrine. Ce même soir à l’entrée de la nuit un Anglais qui servait de coq dans la Kecke, par une imprudence de nos Français, se voyant tout seul sur le pont pendant qu’on soupait dans la chambre sauta dans la chaloupe et s’en fut trouver les Anglais, auxquels il ne manqua pas de dire ce qu’il avait appris de nos gens, que nous n’avions point de boulets, ce qui pût leur donner quelques espérances de nous prendre, ou du moins de ravoir la Kecke, et pour y réussir plus aisément en nous intimidant, ils mirent des barrils au bout de leurs vergues afin de nous épouvanter et de nous obliger à nous rendre ou du moins à parlementer par la crainte d’être brulés. Ils passèrent toute la nuit à ferrailler, à battre, à rompre, à forger, et à faire un bruit enragé pensant par là nous faire perdre cœur ; mais ils furent bien surpris le lendemain quand ils nous virent pousser jusqu’au bout du havre, entrer dans la rivière, et y mettre nos 3 navires à couvert d’une grande pointe de sable qui les deffendait du canon, et beaucoup plus encore le jour suivant nous voyant manier après une batterie de 8 pièces de canon que nous dressâmes sur la pointe qui commandait à tout le canal par lequel ils eussent pu nous venir joindre aux grandes marées. Ils considéraient nos gens qu’ils voyaient occupés les uns à lever le gazon, les autres à le charrier, partie à faire les fortifications et les embrasures avec tant de vitesse qu’il leur était impossible de les conter.

D’ailleurs ils voyaient la pointe de roche à près de demi lieue de nous toujours fournie d’hommes outre ceux qui allaient et venaient continuellement d’une pointe à l’autre, soit pour y porter des avis, ou des vivres ou des munitions. La promptitude avec laquelle notre ouvrage fut achevé, par les soins de Mr. le Gardeur, qui avait toujours la main à l’œuvre, notre batterie dressée, nos canons chargés et déchargés partie à baie et partie autrement, leur fit croire que leur coq les avait trom-