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à la route aussi bien la nuit survenant aurait peut-être causé quelque confusion, qui auraient eu des méchantes suites.

Le lendemain vers le midi faisant une bordée au large nous vîmes un autre navire. Comme nous étions surs que c’était le grand, et que nous n’étions pas en état de lui courir sus nous changeames de bord et poussâmes vers terre en gagnant toujours sur la route au plus près du vent.

Les Anglais croyant que nous avions peur portèrent à nous toute la rélevée mais n’allant guère mieux que nous ils ne gagnèrent presque rien. Cependant la nuit approchant, à la faveur de l’obscurité nous fîmes vent arrière en portant droit à terre pour l’élonger ensuite à petites voiles vers l’Ouest, où nous voions quelque apparence d’un havre propre à nous mettre à découvert de l’insulte des ennemis, lesquels nous ayant perdu de vue à cause ou de l’obscurité ou de la terre qui nous dérobait à leurs yeux, poussèrent toujours leurs bordées et s’en furent terrir à plus d’une lieu de nous vers l’Est. Le jour qui ne couche point dans ce pays à l’espace de plusieurs mois s’étant éclaircy, nous nous entrevîmes en un estat à ne nous pas craindre, la mer étant calme pour lors

Ce beau calme nous fit résoudre à nous faire touer pour tacher de gagner le havre dont j’ai parlé que nous voions entre deux montagnes de roches. Les ennemis à notre exemple mirent 2 chaloupes à l’eau pour la même fin, mais nous allions plus vite qu’eux, tellement qu’a my relevée favorisés d’un petit vent qui se leva a propos nous entrâmes dans un havre aussi favorable que nous puissions souhaiter. Mr. Moisan qui nous devança y entra jusqu’au fond sans aucune peine ; pour nous l’entrée nous en fut plus dangereuse, car une raffale de vent nous y ayant surpris nous jetta sur un horrible cap de roche où le bâtiment s’y fut brisé si le ressac de la mer ne l’eut retenu à une brasse près, ce qui nous obligea de mouiller l’encre promptement afin de nous en éloigner en attendant qe nos chaloupes que nous avions envoiés à ia Kecke pour la faire venir plus vite fussent de retour.

Quand elles furent arrivées nous fimes signe à ceux de la Kecke de tenir le plus qu’ils pourraient l’autre bord du havre de peur d’un pareil accident ; après quoi nous levâmes l’ancre, et nous étant fait touer vers le-même endroit nous mîmes le vent dans les voiles, et nous poussâmes bien avant dans le hâvre, ou nous échouâmes au-delà de la Kecke qui avait échoué devant nous. Ce havre est fort plat, et presque tout a sec en marée basse, n’y restant qu’un petit canal d’une rivière qui s’y décharge, et dans laquelle la barque avait poussé jusqu’au bout, où elle flottait en tout temps. Il est entouré de montagnes de roches dont une pointe déboutant bien avant au large tout à l’entrée, nous fut très avantageuse non seulement parce qu’elle nous couvrait et nous otait la vue de la mer, mais encore parce qu’elle dominait sur les ennemis qui furent obli-