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puisqu’ils rencontroient le bien de ceux qui avoient volé la Compagnie du Canada qui les emploiait, ils pouvoient et dévoient le prendre, en vertu d’un droit naturel qui ne dépend de qui que ce soit. On lui dit donc qu’il estoit pris et l’on envoia en même temps prendre possession de son navire. Il nous dit que le navire estoit à lui et non pas à la Compagnie qui ne l’avoit qu’a fret, et nous respondimes qu’il n’avoit rien à craindre, que la Compagnie d’Angleterre estoit trop juste pour luy rien faire perdre, et pour ne pas le dédommager. Aiant appris de luy que 4 bâtiments partis de Londres pour la baye, savoir le sien, un autre un peu plus grand, et 2 fregattes de 12 pièces de canon et autant de pierriers chacune, la frégatte de Ratisson qui avoit pris le devant devoit avoir passé comme nous estions dans la baye, et les 2 autres qu’il avait laissés après luy avant qu’il fust dans le destroit passeroient infailliblement dans un ou deux jours, il eust esté à mon sentiment dà propos de faire havre pour nous accomoder à loisir pendant que ces batiments passeroent sans nous voir Mr. de la Martiniere en estoit d’avis ; mais Mr. de la Martiniere (L’Allemand) qui se plait à tenir le large ne le jugea pas à propos. Nous passames donc notre route et le lendemain si je ne me trompe nous visme un autre navire, et bien qu’on ne pust distinguer si c’estoit le petit où le grand on poussa droit à luy, et l’ayant joint sur le soir on luy dit par un coup de canon d’amener comme on avoit fait à l’autre ; il obéit, mais le capitaine aiant reconnu la Kecke prise refusa de venir à bord résolu d’attendre l’abordage plustot que de se rendre. On luy fit des menaces mais ce fut en vain, cela fut cause qu’on résolu de l’attaquer par la décharge et du canon et des fusils, laquelle pourtant ne fit rien, le capitaine anglais ayant fait cacher tout son monde ; il ne voulut pas même qu’on tirat sur nous quoiqu’il eut du canon et des pierriers avec lesquels il eut pu fracasser nos gens qu’il voioit à découvert sur le pont. Comme les boulets nous manquaient et que les fusils ne servaient de rien contre des gens qui ne se montraient pas, on délibéra si on viendrait a l’abordage. Chacun y estoit disposé, et on attendait plus que l’ordre. Mr. de la Martiniere et Mr. l’Allemand s’en remirent à mon jugement, le premier pourtant me disant qu’ils avaient des coffres à feu et qu’il ne voulait perdre personne, puisque nous ne pouvions perdre sans nous trouver courts, et sans nous exposer au danger de tout perdre et nos prises et nos navires faute de gens pour les conduire, Mr. Moisan nous ayant protesté quelques jours auparavant que l’on lui otait seulement un homme de son équipage qui était le plus fort de tous, il ne répondait point de son bâtiment ni de le mener à Kébec. Je leur dis, cela supposé, qu’il fallait l’abandonner ne pouvant me persuader qu’après tant de fierté ils se rendissent sans résistance, que je ne doutais point qu’on ne les prit à l’abordage, mais qu’on y perdrait du monde, et qu’il fallait où faire cela où, les laisser aller. On prit ce dernier party, et on porta