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Nous voici au lac à Quinn, mais nous ne ferons pas la pêche aujourd’hui. Nous allons atterrir sur une pointe sablonneuse, de l’autre côté de la rivière.

Je marchais seul sur le sable pour me dégourdir, quand il me prit fantaisie de monter sur la côte. Me voici donc grimpant des pieds et des mains, m’accrochant aux arbustes, et enfin arrivant au sommet. Je pensais bien me trouver seul en cet endroit, mais à ma grande surprise, il y avait déjà quatre ou cinq de mes compagnons qui y étaient rendus. Nous avions sous les yeux une grande plaine littéralement couverte de bluets. Disons pour les étrangers qui pourraient nous lire, que les Canadiens appellent bluets non pas la Centaurée des blés, mais l’Hedyotis cærulea avec ses baies d’un bleu foncé fort recherchées dans notre pays. Nous en emportons à brassée.

Nous repartons et nous considérons encore avec surprise toutes ces hautes montagnes qui s’échelonnent des deux côtés de la rivière.

En haut du rapide Croche, Monsieur Prince nous raconte une anecdote dont je veux vous faire part ; nous ne sommes pas très pressés, et puis il m’a semblé que vous désiriez un petit récit, renfermant quelque chose de merveilleux.

Plusieurs habitants de Saint-Maurice travaillaient à la coupe du bois dans la forêt que nous avons à notre droite, et à mesure que les bûches étaient coupées, ils les amenaient sur le bord de la montagne, à l’endroit le plus escarpé. Ils trouvaient là, en effet, un lançoir préparé par la nature, et au printemps ils n’auraient qu’à pousser les bûches pour les voir rouler dans le fleuve.

Un nommé Alexis Marcotte était occupé à transporter ainsi le bois préparé par les bûcherons ; comme il allait tourner sa voiture auprès de l’escarpement, elle commença tout à coup à glisser, et alors, en un clin d’œil, homme, cheval et traîneau furent emportés dans l’abîme.

Les compagnons de Marcotte restèrent comme abasourdis ; mais après le premier moment de stupeur