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l’arrière et maniait vigoureusement l’aviron. Les enfants étaient au milieu, et nous nous plaisions à regarder ces chères petites têtes qui s’élevaient juste au-dessus des bords du canot. Quand le courant était trop rapide, comme au Manigonse, l’homme descendait sur le rivage, et traînait le canot à la cordelle pendant que la femme gouvernait.

Ce brave canadien avait donc avec lui, sur une frêle écorce, tout ce qu’il a de plus cher au monde. Nous trouvions en cela une image mélancolique de la vie humaine.

Il nous suivit longtemps ainsi ; mais au haut du rapide Manigonse, nous le vîmes se hâter et prendre les devants. Sa demeure s’élève un peu plus loin, solitaire au pied d’un rocher ; il s’y rendit avec sa petite famille et nous salua à notre passage. Que cette famille soit bénie, nous l’aimons sans la connaître.

Pour se reposer de la fatigue éprouvée en remontant le Manigonse, nos canotiers abordèrent à un endroit où il descend de la montagne de petits ruisseaux d’une eau extrêmement douce à boire, M. Nestor Desilets courait en chantant sur les roches qui vont en pente douce ; tout-à-coup il tombe, et les pieds lui glissent dans le petit ruisseau qui coule en cet endroit. Il reste sans mouvement, le visage tout contracté, et fait entendre une plainte sourde. Je cours à lui, un de nos hommes vient aussi à son secours ; nous lui retirons les pieds du ruisseau, et nous le conduisons vers notre barge. Après une vingtaine de pas, il pouvait déjà marcher seul, bien que péniblement. En se frappant le genou sur la pierre, il avait ressenti une douleur extrêmement vive, mais passagère. Il reprit vite sa gaieté accoutumée, mais il resta blême tout le reste du jour. À cause de cet accident, nous donnâmes à cette fontaine le nom de fontaine du Genou. C’était bien notre droit, n’est-ce pas ?

Nous nous remettons en marche, et nous longeons l’île des Cinq, ainsi nommée à cause de cinq sauvages qui y sont morts et qui y sont enterrés. Le nom de cette île s’est étendu à une petite rivière qui coule un