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trouvant pas ici le bois le plus convenable, à sa manufacture, abandonnera probablement le bel établissement que nous venons de décrire, alors MM. Hall et Neilson y placeront quelqu’autre industrie du même genre.

Nous venons de passer sous un pont, en voici un autre devant nous : celui-ci est en bois et pour voitures ordinaires. Mais n’allez pas vous imaginer, par exemple, que le premier pont venu puisse être comparé à celui du Saint-Maurice ! Ouvrez les yeux et les oreilles, s’il vous plaît ; le pont que vous voyez a 2,150 pieds de long. Il traverse l’île Saint-Christophe : la partie qui est en deçà de l’île est de 1,450 pieds, et la partie qui est au delà est de 700 pieds. Pour vous guider un peu dans l’appréciation de ces chiffres, je vous dirai que le grand pont de Brooklyn est de 1400 pieds seulement.

On ne s’était pas aventuré, avant 1832, à faire passer le Saint-Maurice sous le joug, car ce fleuve est redouté, croyez-moi. À cette époque on tenta l’entreprise, mais le Gouvernement devait en payer les frais. Comme essai, on commença par construire dans la partie est de la rivière, en 1832, un brise-glace qui fut appelé Quai de Marguerite, en l’honneur de Marguerite Normand fille de l’architecte François Normand. Le quai de Marguerite ayant résisté vaillamment aux glaces, le Gouvernement donna, par des commissaires nommés à cette fin, l’entreprise du pont à Messieurs Édouard et François Normand, deux citoyens des Trois-Rivières qui portaient le même nom sans qu’il y eût de parenté entre eux. Les travaux de construction furent commencés en 1833 et complètement terminés en 1834.

Vint cependant la funeste année 1837, où les Canadiens parlaient de tout côté de joug insupportable à briser, de révolte devenue nécessaire. Le Saint-Maurice crut aussi que le moment opportun était venu pour lui de se révolter à sa manière et de briser le joug qu’on lui avait imposé : il gonfla donc ses flots et arracha de ses bases la partie du pont qui touche au Cap de la Madeleine, comme Samson arracha avec leurs gonds les portes de la ville de Gaza ; de plus il endommagea tellement l’autre partie du pont qu’il