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sur la terre. Nous passions ensuite un certain nombre de fermes qui sont échelonnées le long du Saint-Maurice, puis nous ne trouvions plus qu’un petit sentier entre les broussailles. Nous le suivions longtemps, et nous arrivions à cette ruine du moulin d’Ogden. On ne saurait croire aujourd’hui combien cela paraissait éloigné de la ville. Nous allions nous asseoir sur une petite élévation : le majestueux Saint-Maurice coulait à nos pieds, à côté de nous le ruisseau du moulin babillait, les oiseaux chantaient dans les arbres, et nous passions ainsi toute une après-midi dans la solitude. Nous nous trouvions tellement seuls que s’il venait à passer quelqu’un par là, il nous semblait que c’était un homme égaré. Ces promenades poétiques sont restées dans mon souvenir, et voilà pourquoi je cherchais du regard ces ruines qui ont disparu avec tant d’autres choses.

À notre droite, voyez le Cap-aux-Corneilles, c’est la pointe du premier de quatre ou cinq coteaux de sable qui s’échelonnent entre la ville des Trois-Rivières et les Forges Saint-Maurice ; et si ce nom vous surprend, c’est que vous n’avez pas vu les noces de corneilles qui se célèbrent si fréquemment en cet endroit aux jours de l’automne.

Notre canot frémit un peu en passant auprès des piliers d’estacades qui se trouvent au pied du Cap-aux-Corneilles, puis il s’élance comme un trait, et passe sous la première arche d’un pont très élevé. En effet, la Compagnie du chemin de fer du Nord a jeté ici un magnifique pont en fer, de 800 pds de longueur, divisé en quatre arches de 200 pieds chacune. Les culées et les trois piles du centre sont en belle pierre taillée. À la hauteur où il se trouve, ce pont nous paraît bien fragile, il ressemble à une toile qu’une araignée monstre aurait jetée entre les deux rives du fleuve.

Tout à côté du pont vous voyez le fond-de-vaux[1] dont je vous ai déjà parlé. Pendant longtemps les Algonquins venaient chaque année dresser leurs tentes

  1. Vaux, pluriel de val, synonyme de vallée. C’était peut-être originairement vau, mot de la langue du Berry qui veut dire aussi vallée. B. Sulte écrit fond-de-veau.