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Mais, le soir, lorsqu’on voit les flammes qui s’élèvent continuellement à plusieurs pieds au-dessus du fourneau, et répandent une lumière blafarde sur tout le village ; lorsqu’on voit sous cette lumière les travailleurs errant comme des fantômes autour de leurs vieilles habitations, avec leurs vêtements noircis par le charbon et la fumée, et surtout lorsqu’on pense qu’il y a quelques années, le village était tout environné de plusieurs lieues d’épaisse forêt, on se sent l’imagination surexcitée, et l’on se dit involontairement : « il doit s’être passé ici des choses étranges. » Il s’en est passé en effet, et pour connaître ces choses-là vous ne serez pas obligé de faire cent lieues ; interrogez le premier venu du village, il vous en contera de terribles. La génération nouvelle n’a rien vu par elle-même, et cela n’est pas surprenant : la demeure proprette et moderne du Dr Beauchemin et la chapelle qui s’élève en face de cette maison semblent en effet nous dire que la religion et la civilisation ont pénétré dans les Forges, et que leur contact a fait fuir les apparitions et les sabbats d’autrefois.

Un jour, je cheminais vers St. Boniface avec le père Louison un bon vieux du temps passé ; nous arrivions à l’endroit appelé la Pinière, à quelques arpents seulement des Forges. — Père, lui dis-je, il paraît qu’il s’est passé autrefois dans ces endroits-ci, bien des choses extraordinaires. — Oui, monsieur, bien des choses comme on n’en voit plus aujourd’hui. Dans ce temps-là, le chemin des Forges passait, tout le long, au milieu d’une épaisse forêt, je me rappelle bien d’avoir vu ça dans ma jeunesse.

— Connaissez-vous alors le Poste des Forges ? — Si je le connais ? Oui, je vous en assure. C’est proche de la Pointe-du-Lac, ma paroisse, et puis je venais souvent travailler là, il y avait toujours de l’ouvrage, et l’on avait de si bons prix.

Dans les mortes saisons, nous n’avions rien de mieux à faire que de venir y gagner quelques sous. — Avez-vous eu connaissance vous-même des choses extraordinaires qu’on raconte ?