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exprès parce qu’ils ont trouvé qu’autrement ils résonneraient comme des caisses de tambour-major : boum ! boum ! boum ! Quoiqu’il en soit, ils ont pris le mot baume, et essayez maintenant de leur faire adopter le mot estacade ; vous y perdrez votre latin. Les Canadiens ont la tête dure, surtout quand il est bien évident qu’ils ont tort.

À notre droite, nous commençons à apercevoir des terres cultivées ; ces terres forment partie de la paroisse de Saint-Étienne.

Le fleuve coule encore quelque temps entre deux rives couvertes de forêt, et alors nous apercevons, au haut d’un mât, un pavillon français qui déroule gaiement ses couleurs au souffle de la brise. Puis nous distinguons une jolie maisonnette, bien blanche, entourée une bonne palissade, et bâtie au milieu d’un petit champ bien vert. Vraiment, je n’ai jamais rien vu de plus poétique : cette verdure, cette solitude, ce fleuve aux eaux profondes, quel tableau ravissant ! Mais le poète qui a fixé sa demeure en ce lieu a-t-il donc voulu nous fêter en déployant ainsi les couleurs de la France !

J’ai rêvé bien des fois la vie passée dans une solitude comme celle-là : loin du bruit des hommes, mais au milieu des charmes de la belle nature. Oh ! que l’on doit aimer Dieu, quand on a fait taire les voix du monde, et qu’on ne converse plus qu’avec le ciel ! Mon Dieu, l’entretien de l’âme avec vous a des suavités que le monde ne connaît pas, et la vue de vos œuvres, quand l’âme n’est plus distraite, est un langage si doux qu’on ne se lasse jamais de l’entendre.

Mon cher lecteur, vous me demandez quelle peut bien être cette maison dont la vue réveillait tous mes anciens désirs de solitude. Les estacades qui se terminent ici nous expliquèrent bientôt le mystère de cette demeure enchantée : c’est une maison bâtie et entretenue aux frais du gouvernement, pour les employés du Saint-Maurice. Quant au pavillon qui flotte si joyeusement, il doit être là pour avertir les travailleurs que ce jour est un jour de paye.

Malgré tout, je ne puis m’empêcher de jeter des regards d’envie sur ce toit, sur cette verdure : il est