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On dit qu’autrefois deux sauvages ont sauté la chute de Chawinigane en canot d’écorce, et ont échappé à la mort. Cela nous paraît tout à fait impossible, même en supposant qu’ils ne soient pas entrés dans le Remous du Diable, mais on ne peut pas empêcher la légende de dire ce qu’elle voudra.

Depuis que le flottage du bois a été organisé sur le Saint-Maurice, trois hommes, trois canadiens-français ont fait ce saut effroyable.

En 1854, par suite d’une mauvaise manœuvre, plusieurs hommes tombèrent à l’eau, en haut de la chute, mais près des estacades. Un nommé Dubé, de Saint-Maurice, eut le malheur d’entrer immédiatement dans le fil de l’eau qui coulait directement vers la chute, en un instant il fut emporté dans le gouffre et y disparut. On retrouva son corps au bout de quelques mois.

On était accouru sur les estacades, qui avaient comme celles d’aujourd’hui deux ou trois pieds de large, et on faisait le sauvetage des autres naufragés. Un nommé Baudoin, de Champlain, se tenait en ce moment par un crampon, planté dans le bois des estacades. Au milieu de la précipitation, en retirant un autre homme de l’eau, on lui fit lâcher prise, et il commença à dériver vers la chute. Baudoin savait très bien nager, et tout en gagnant vers la chute, il disait : Ne vous occupez pas de moi, sauvez les autres, moi je me sauverai toujours bien. Ces paroles retardèrent probablement de quelques secondes le secours qu’on pouvait lui porter ; hélas ! après ces quelques secondes, il n’était déjà plus temps. Il entra dans un courant très rapide, et il comprit lui-même que c’en était fait : il se recommanda tout haut à la Sainte Vierge, puis, sous les yeux de ses compagnons terrifiés, il entra dans la chute. Il parut sur la première vague ; il culbuta alors et parut de nouveau dans la seconde vague, mais ensuite il disparut à leurs regards. Son corps ne fut retrouvé qu’au bout de deux ans, près des Trois-Rivières.

En 1858, M. Rousseau travaillait sur les estacades avec plusieurs employés, quand il s’aperçut de l’approche d’un raz d’eau. Sur le Saint-Maurice, on appelle