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elle sert donc d’épitaphe à ce pauvre canadien, et perpétuera sa mémoire auprès des générations à venir.

Il y a dans cette anse de Chawinigane des estacades d’une importance particulière. Quand le flottage s’est fait sur les criques et les rivières, depuis la Tranche et le Vermillon jusqu’à la Mékinac, le Saint-Maurice transporte une quantité de bois vraiment énorme. Si on laissait immédiatement parvenir toutes ces bûches jusqu’aux Trois-Rivières, il n’y aurait pas d’estacades assez fortes pour les contenir, car le courant est alors trop rapide ; elles briseraient tout et se disperseraient dans le fleuve Saint-Laurent. On les fait descendre à Chawinigane, et, dans le sac dont je viens de vous parler, on trouve un endroit convenable pour les emmagasiner, jusqu’à ce que l’eau devienne plus favorable. Dans le printemps donc cette anse est toute couverte de bois de grume, et en certains endroits il y a jusqu’à vingt rangs de bûches entassées les unes sur les autres. Pour contenir tant de bois, le gouvernement a fait construire, à petite distance les uns des autres, dix gros piliers qui ont coûté 1400 piastres chacun. Ces piliers nous ont paru très élevés, mais ils ne le sont pas trop, car au printemps dernier, la surface des eaux du Saint-Maurice était précisément à cette hauteur.

Trois employés de M. Rousseau, trois bons canadiens, traînèrent jusque dans le courant une superbe barge que l’on voyait renversée sur le sable, et nous traversâmes du côté de la chute. Je dis nous traversâmes, pour parler selon les apparences, mais en réalité nous nous trouvions encore sur la même rive : nous avions coupé l’anse, voilà tout.

En compagnie de M. Rousseau, je visitai alors la chute ; je me fis montrer tout ce qu’il y avait d’intéressant, et, séance tenante, je pris sur mon carnet des notes très circonstanciées. Quand le soleil fut baissé à l’horizon, je retournai au presbytère de Saint-Boniface ; j’avais l’esprit enchanté des merveilles qui avaient passé sous mes yeux, et j’avais le cœur tout ému des bontés de M. Rousseau pour moi. J’ai gardé ce sentiment, et, je l’avoue, c’est avec une joie d’enfant que