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repos, je pus repartir cahin caha. Cet incident avait jeté un froid singulier sur mon enthousiasme. Après avoir été, au moins pendant quelques minutes, un pèlerin marchant avec componction sur la trace visible des martyrs, j’étais redevenu un voyageur vulgaire, aux bottines couvertes de boue, et laissant percer dans ses traits quelque chose qui ressemblait à de la mauvaise humeur. Les missionnaires, me dis-je enfin, ont eu bien d’autres épreuves à subir dans leurs lointains voyages, et je me mis à gravir l’escarpement, en cherchant les endroits solides pour y mettre le pied.

Au bout de quelques instants, nous étions en face de la baie de Chawinigane ; je vous parlerai bientôt de cette baie. Des milliers de bûches la couvraient littéralement, attendant au sein d’une espèce de sommeil que les flotteurs les dirigeassent dans le courant, pour descendre vers les scieries de la ville.

Deux hommes étaient assis près du rivage ; je leur adresse la parole, et j’essaie de me faire un visage souriant, mais ce n’est pas sans de grandes difficultés.

Nous remontons en canot. Je suis heureux de pouvoir donner du repos à mes jambes, mais je ne dis pas un mot de mon aventure ; la première confession que j’en aie faite, vous venez de l’entendre, et vous voyez que ça été une confession publique.

Nous sommes obligés d’écarter les bûches pour nous frayer un passage, c’est une besogne lente et qui demande beaucoup de précautions, surtout quand on n’est séparé des flots que par l’épaisseur d’une fragile écorce. Mais nous tombons enfin dans un espace libre, et alors nous cinglons rapidement vers la maison de M. Arthur Rousseau, gardien des estacades. Tout en marchant, nous regardons avec une espèce de frayeur l’énorme quantité de sable qui s’est déposée cette année dans la baie de Chawinigane.

Notre canot d’écorce est tiré sur le sable : repose-toi, bon petit canot, car tu as fait un bon service, tu as filé une bonne route. Nous ne regrettons pas de t’avoir choisi entre plusieurs autres.

M. Rousseau est enchanté de nous voir, et il