Page:Caron - Deux voyages sur le Saint-Maurice, 1889.djvu/201

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 199 —

Petite-Fille. Il soufflait une forte brise nord, et mon homme était là, sur le bout des solives placées en talus, bien exposé à être précipité en bas par le vent. Les ouvriers de la Manufacture le voient de loin et lui font signe de ne pas s’exposer, mais il n’a pas froid aux yeux : il s’élance, passe sans broncher, et opère ensuite sa descente à travers les roches anguleuses.

Pendant que tout cela se passe, je me hâte de traverser l’île, pour voir de près la chute du Grand-Père. Je cours assez difficilement sur les pierres tantôt arrondies et tantôt abruptes. À un moment donné, je me fais une entorse, et je tombe proprement assis. Ce n’était pas mollet, je vous l’assure, et j’en ai vu cinq cents chandelles. Mais Kléber, quand il tomba sur une baïonnette était beaucoup plus à plaindre que moi, et il dut faire une tout autre grimace. D’ailleurs, on ne va pas à la guerre sans qu’il en coûte. Je me relève un peu abasourdi, et je pars en boitant d’une manière pitoyable.

Me voilà dans un endroit que je nomme le Lit des Géants : plus d’angles, plus d’aspérités ; le granit est usé, tapé, de manière à former une grande surface plane. C’est l’endroit où les grandes eaux viennent prendre leurs ébats.

Enfin me voici en face du Grand-Père : c’est une chute fort imposante. Une grande masse d’eau tombe avec un bruit et en faisant des mouvements qui annoncent une force immense. On se sent petit, on tremble devant cette force des éléments, et en même temps on est dans l’admiration. On voit ici comme un reflet de la force du Tout-Puissant.

Je prends le temps d’examiner cette belle chute, et je m’en retourne alors en toute hâte, tâchant de boiter le moins possible. Mon guide est à son poste ; il vient d’allumer sa pipe, et moi je m’enfonce dans le canot pour prendre quelques notes. Nous ne ferons pas un long séjour ici.

La pirogue reprend sa course : nous voilà au pied de la chute, au milieu de petites lames folles qui sautillent autour de nous, qui cherchent à entrer dans