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Père, car naguère encore il y avait ici trois chûtes bien distinctes : la Grand’Mère d’un côté, le Grand-Père de l’autre, puis, au milieu, une chute beaucoup moins considérable, la Petite-Fille, je suppose ; or, pour séparer ces courants il y avait deux îles ; celle de droite, plus petite, mais portant sur un angle ce visage de grand’mère que nous avons déjà présenté à nos lecteurs, et celle de gauche, plus grande, mais n’offrant rien de particulièrement remarquable. La chute du milieu étant un obstacle à la descente du bois, on l’a bouchée par un batardeau, et ce n’est maintenant qu’au printemps, quand l’onde impatiente s’élance pardessus toutes les digues, qu’on peut distinguer encore les trois rivières. Donc nous abordons à l’île du Grand-Père, et nous voilà sur le rocher, entre les deux abîmes grondants.

Mon guide se charge du porte-manteau, et il va reconnaître le chemin pour faire le portage. Je me mets en frais de le suivre. Nous passons sur la crête du batardeau pour aller dans l’île de la Grand’Mère. Je vois donc la Grand’Mère de près : comme de raison, la ressemblance y perd quelque peu ; mais même à cette distance, elle répond remarquablement bien à la description qu’en donnait M. Elzéar Gérin : « On dirait une apparition fantasmagorique sortant en plein jour du pays des songes. Il semble même qu’on reconnaît les traits d’une femme sauvage, d’une squaw. Le nez effilé, le menton un peu pointu, la bouche un peu entrouverte, le front dénudé, la ressemblance est frappante. Le ciseau du sculpteur n’aurait pu faire mieux. Jadis, ajoutait-il, quelques loustics avaient placé dans la bouche de la Grand’Mère une pipe monumentale. L’œuvre des hommes a disparu, mais l’œuvre du Sculpteur éternel est impérissable. »

Nous trouvons dans les crevasses et les replis du rocher un chemin plus ou moins acceptable, et nous descendons jusqu’au pied de la chute de la Grand’Mère. Mon guide retourne immédiatement sur ses pas pour aller chercher son canot : il s’en coiffe crânement, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, et avec un pareil chapeau, il passe sur le batardeau de la