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DE LA GRAND’MÈRE
AU RAPIDE DES HÊTRES

Il y a beaucoup de vie à la Grand’Mère. Des scieries y sont en pleine activité ; des grues étendent leur long cou, des écoperches s’élèvent vers le ciel et jettent au loin leurs cordages comme les pattes de quelqu’énorme pieuvre ; de nombreux maçons font entendre le son argentin de leurs truelles, et font surgir les murs d’une vaste manufacture. Quelle œuvre de géant s’exécute là ? Que de mouvement ! que de dépenses !

Mon canotier s’en va pour un instant au magasin de la Compagnie. Je puis bien dire ce qu’il y va faire : il va s’acheter quelques feuilles de tabac. Que voulez-vous qu’un canotier du Saint-Maurice fasse sans tabac sur le dos de la plaine liquide ? C’est une roue dont l’essieu n’a pas d’huile, c’est un piston d’où la vapeur est absente. M. Maurice s’en va donc acheter du tabac, c’est l’affaire de quelques instants ; ensuite il lance le canot au large.

Deux chutes grondent à quelques pas de nous : c’est Charybde et c’est Scylla qui demandent à nous broyer. Mais notre brave canotier connaît son Saint-Maurice : il n’a pas l’air d’y toucher, pourtant le canot évite les deux courants qui nous mèneraient à l’abîme, et nous abordons sans bruit, sans secousse à l’île de la Grand’Mère. On dirait peut-être mieux l’île du Grand-