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J’ai dit que je ne tournais pas la tête pour regarder en arrière ; mais il faut avouer que j’ai fait une exception en partant des Piles. C’est la nécessité qui m’y a contraint, et mon guide ne m’en a pas fait le moindre reproche. J’ai donc regardé en arrière, pour voir quel était l’aspect de la chute. Elle se divise en trois courants, et forme ainsi trois chutes bien distinctes, dont la plus forte se trouve du côté du village. Celle-là forme un remous qui, prenant de l’importance au temps des crues, va ronger le rivage et forme un large bassin de forme circulaire.

La chute des Piles a peu de hauteur ; elle vient même à se niveler pendant la fonte des neiges ; et cependant un canot qui y tombe est considéré comme perdu : elle est très mauvaise si elle n’est pas très haute.

À propos de cette chute nous avons en carnet quelques anecdotes dont nous ferons part à nos lecteurs.

C’était en 1833. Les flotteurs faisaient en grande diligence la descente du bois sur le Saint-Maurice. Une brigade s’était rendue, le 10 juillet après-midi, en bas de la pointe à la Madeleine. Trois hommes voulurent alors se donner le plaisir de traverser aux Piles : ils montèrent donc dans un canot d’écorce, et se rendirent heureusement à l’endroit où s’élève aujourd’hui le village. Ces trois hommes répondaient aux noms suivants : Charles Mulaire, Narcisse Vaillant et Élie Perrault ; le premier était de la ville des Trois-Rivières, le second était de Saint-Sulpice, près de Montréal, et le troisième était du Cap-de-la-Madeleine. Vers sept heures du soir, ils voulurent retourner vers leurs compagnons, ils traversaient proche de la chute, et arrivés au milieu du fleuve, ils eurent le malheur de chavirer. Charles Mulaire et Joseph Vaillant essayèrent en vain de saisir le canot, ils furent emportés par un courant irrésistible : l’abîme grondant les reçut et ne rendit que deux cadavres contusionnés.

Élie Perrault était le plus jeune des trois naufragés ; il fut sur le point de partager le sort de ses