Page:Caron - Deux voyages sur le Saint-Maurice, 1889.djvu/185

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 183 —

ce malheureux et caetera, qui n’a pas sa place dans mon récit.

J’avais reçu mon éducation canotière l’été dernier ; je m’assieds au fin fond de la pirogue, je fais deux parallèles avec mes deux jambes, et je sens moi-même que l’embarcation est sûre. Un coup de pagaie nous lance dans le courant, au milieu des petites vagues courtes et gaies du pied de la chute, et nous voilà partis. Bon voyage, nous crie M. le curé Gravel, et nous filons. Mettez-vous un peu à gauche, me dit mon guide ; — encore un peu ; — bien !

Quelle jouissance de naviguer en pirogue sauvage ! Comme nous glissons sans bruit et avec rapidité ! J’éprouve le sentiment que j’éprouvais dans ma jeunesse, quand je glissais avec mon joli traîneau sur les collines couvertes de neige durcie. Glisser sur la croûte, selon l’expression consacrée, je le demande aux petits Canadiens, y a-t-il un plaisir comparable à celui-là ? Oui, ces jouissances du jeune âge sont revenues dans mon âme un peu vieillie, quand M. Maurice poussa son canot d’écorce qui dansait si gentiment sur la lame.

Je ne porte pas de pagaie ; non, non, je suis un écrivain qui voyage pour le plaisir de voyager ; assis donc dans la nacelle, je porte les yeux à gauche et à droite, en avant surtout ; je suis muni d’un calepin et d’un crayon, rien ne m’échappera. Si je parle à mon guide, je ne tourne pas la tête, j’envoie les paroles sur un ton élevé, et je reçois la réponse sans broncher. Mon guide a fait le voyage d’Égypte : il me conte ses impressions sur les paysages les monuments et les mœurs de ce pays, mais les yeux ne jouent aucun rôle dans notre conversation. Si je sens trop de fatigue dans les jambes, je les relève un peu le long de la pirogue, mais avec précaution ; les relever un peu fort, ce serait rendre le canot versant. Dès que je le puis, je les étends bien au fond, et alors mon canotier jouit : la pirogue va si bien !

Je ne puis plus tarder à vous dire que mon guide m’a fait des compliments sur la manière dont je me tenais dans le canot.