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coup, et le missionnaire lui-même se voyait obligé de marcher dans cette épaisse couche de neige.

On avait passé des lacs, des portages, des endroits difficiles, lorsque vers trois heures de l’après-midi on aperçut le dernier lac qu’il fallait traverser pour arriver au chantier le plus proche. Comme les deux hommes de M. Skin s’étaient imposé un travail immense, M. l’abbé Chrétien crut devoir les congédier en ce moment. Il les remercia donc, leur dit adieu, et continua son voyage vers l’autre extrémité du lac avec son compagnon ordinaire. Mais il fut impossible de trouver le chemin du chantier. Le cheval marchant au hasard dans quatre pieds de neige, s’épuisait visiblement ; et comme on avait bien cru se rendre beaucoup plus vite, on n’avait pas emporté de nourriture ; cheval et voyageurs n’avaient donc pas mangé depuis le matin. Telle était la situation.

Vers cinq heures, M. l’abbé Chrétien se trouva incapable de faire un pas de plus, et le cheval ne pouvait certainement pas le traîner. La nuit venait rapidement, le froid était vif ; que fallait-il donc faire ? — Il y avait une peau de bison dans le traîneau ; il la prit et dit à son compagnon : Je ne puis pas aller plus loin, laissez-moi ici, et essayez de vous rendre au chantier. Le pauvre homme continua tristement sa route, avec son cheval épuisé, et partit à tout hasard, ne sachant pas même s’il ne s’éloignait pas de l’endroit qu’il cherchait. Le missionnaire resta seul sur le lac glacé ; il s’enveloppa dans la robe de bison qu’il avait gardée et se coucha sur la neige. Il restait encore quelques rayons de lumière, il en profita pour réciter Vêpres et Complies. Pendant quelque temps il put voir aller son compagnon, et il lui sembla que la direction suivie devait conduire, non au chantier voisin, mais à La Tuque. Or pour aller à La Tuque il fallait deux jours de marche ; en supposant donc que son compagnon pût s’y rendre, le secours ne viendrait certainement pas avant quatre jours. Le fantôme de la mort se présenta à son esprit, et un frisson d’horreur courut jusque dans la moelle de ses os.

Cependant la nuit vint recouvrir la surface du lac