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je le sens encore à l’intérêt et à l’avidité irréfléchie avec lesquels mes yeux et mes oreilles cherchent le drame ; mais quand je me retrouve avec ma pensée apaisée, je fais comme le lecteur, je reviens sur ce que j’ai vu et entendu, et je me demande le pourquoi et le comment de l’action qui m’a émue et emportée. Je m’aperçois alors des brusques invraisemblances ou des mauvaises raisons de ces faits que le torrent de l’imagination a poussés devant lui, au mépris des obstacles de la raison ou de la vérité morale, et de là le mouvement rétrograde qui me repousse, comme tant d’autres, vers le lac uni et monotone de l’analyse ».

On pourrait faire un travail de ce genre sur la plupart des romans de George Sand et fixer les proportions variables de ces deux éléments qu’elle emploie, le chimérique poussé à outrance et le réel finement observé. C’est là que se révélerait le grand défaut de cette belle imagination créatrice. Elle ne sait pas composer une œuvre ; elle ne sait y conserver ni l’unité du sujet, qui change souvent, ni l’unité de ton dans les caractères qui s’altèrent sans cesse. Elle n’en a d’avance arrêté ni le but ni les proportions. Quand par hasard il lui arrive de conserver l’unité de l’œuvre, c’est à son insu et comme par un coup de la grâce. Elle concevait des personnages dans une situation donnée, qui était presque toujours un état de passion, elle s’éprenait d’eux, elle s’y intéressait ardemment et pour son propre compte, tandis qu’elle les racontait et les peignait avec la flamme intérieure ;