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ami de Voisin s’agenouillèrent tous trois[1] devant la jeune princesse (si princesse il y avait) et lui dirent : « Choisissez ». Elle choisit le plus [âgé] qui d’ailleurs était un homme bon et fort bien élevé (marquis de Reversat de Marsac) et vint s’établir au château. Les deux évincés l’y suivirent aussi, pour lui servir de chambellans sans doute, obéir à ses ordres… Ces trois hommes lui consacrèrent leurs trois vies. Chose singulière, tous trois connurent l’origine singulière de cette femme et jamais le secret ne fut divulgué. Même les enfants ne surent jamais qui était leur mère. »



Madame de Marsac fut très intelligente et encore plus autoritaire. Elle commença par s’occuper des propriétés, fermiers et métayers. La fortune était en assez piètre état ; elle la doubla, la tripla par une sévère et bonne administration, sans apporter d’ailleurs aucun luxe au château.

Sa réputation de femme supérieure se propageait dans les campagnes. De plusieurs lieues à la ronde, les paysans, s’ils avaient un procès, venaient consulter la « Dame de Marsac ». Elle dirigeait le spirituel en même temps que le temporel s’étant érigée chef du parti janséniste.

En comparant le château à un nid d’aigles, je me trompais étrangement, j’aurais dû dire le repaire du jansénisme.

Le duel religieux, entre cette femme et l’évêque de Toulouse, restera légendaire ; on en parlait encore dans la région. Elle exerçait les fonctions, s’arrogeait les pouvoirs d’évêque et de Pape. Quand, par exemple, le curé allait se retirer du salon, après le dîner, elle l’arrêtait d’un geste : « Curé, demain vous monterez en chaire et vous ordonnerez un jeûne général ». Le pauvre curé était embarrassé, hésitant, mais la volonté souveraine était là. Il dînait et déjeunait avec Elle chaque jour… Et le jeûne était annoncé quitte à se débrouiller avec l’autre évêque, le vrai, celui de Toulouse… Et il restait encore quelque chose des doctrines jansénistes dans cette famille, malgré la soumission de la grande Mme de Marsac, prononcée enfin peu de temps avant sa mort[2].

Le soir, à la veillée, Louis de Marsac se promenait alors, de long en large dans le grand salon. C’était, souvent, le moment choisi pour déblatérer contre la papauté ! Le Pape ! mais c’était l’ennemi de la religion, le péril sur lequel on devait fondre. Et Mme d’Aurelle[3] d’ajouter : « Oui, le Pape fait encore beaucoup de mal à la religion ». Elle avait puisé cela aux doctrines de sa mère, en même temps que le lait de sa nourrice ; il en restait donc quelque chose.

  1. Ces trois prétendants étaient déjà bien avancés en âge : l’aîné, Victor, 51 ans ; son frère, Eugène, 50 ans et leur ami, Armand de Voisin, 47 ans. Pourtant, à 28 ans, elle choisit le plus âgé qui lui survécut sept ans.
  2. Marie Françoise Bénédicte Sainte Croix La Croix, épouse de Victor de Reversat de Marsac, décéda le 22 février 1863 à Marsac.
  3. Voir notes 3 & 4 p. 7. Elle était la cadette des quatre enfants de la famille comtale de Marsac-Sainte Croix. Elle resta jusqu’à sa mort, fidèle au Jansénisme, comme dernière solitaire de Port-Royal.