Page:Carnets de la vicomtesse.pdf/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6

dans une grande chambre, deux autres à côté pour les bébés et les bonnes.

Le château ne devait pas avoir été touché depuis les guerres avec les Albigeois… Les portes ne joignaient pas ; l’air y passait et avec tout le bras d’une personne ; aussi, dans les grands vestibules et corridors, quand soufflait le vent d’Autan, c’étaient des tourbillons, des mugissements superbes, terribles, s’entrechoquant d’un bout à l’autre de la vieille demeure… Mais la bonne tante Félicité[1] était là, pour me dorloter, comme à Castelnau-d’Estrétefonds, lors de mon premier voyage dans le midi, aussitôt mon mariage[2]. Ici, pas de luxe comme à Castelnau, quelques vieux meubles égarés dans les coins, le reste ressemblait fort à une ferme bien cossue… Le lendemain matin, dans le grand salon tout simple il me semblait que je l’avais déjà habité, tant il y avait de bonhomie dans l’accueil que je recevais d’une famille pour laquelle j’étais une inconnue presque. Et Louis de Marsac me disait avec son terrible accent et sa franchise de méridional : « Cousine, vous gagnez à être connue, nous n’avions fait que vous apercevoir à Castelnau, chez Francisca la Brésilienne[3] qui faisait tant de façons…[4] Il me semblait que vous deviez en faire autant et nous disions : Ça, c’est une femme du Nord, elle se croit plus que nous, je ne sais vraiment pas où ce pauvre Henry a été pêcher cette pimbêche… Et je trouve maintenant que vous êtes rudement gentille ». Un peu plus il me faisait une déclaration amoureuse, et je n’étais arrivée que de la veille ! Jugez un peu…

Ce qu’il y avait d’admirable ici, c’était l’hospitalité généreuse, sans compter qu’on y recevait. Nous étions douze à quinze à table. M. et Mme de Marsac[5], leurs enfants, Mme de Belleud leur mère, la tante Félicité de Puylaroque, le curé[6] (de siècle en siècle ils y prenaient tous leurs repas, les curés de Marsac). Puis un vieux M. de Voisin[7] (fort riche), il n’avait pas quitté le château depuis sa jeunesse, s’y faisait héberger. Enfin un réfugié espagnol dont personne, je crois, ne connaissait l’origine. Il avait été recueilli et restait l’hôte de la maison depuis

  1. Félicité de Vignes de Puylaroque, fille de Philippe de Vignes, 6e marquis de Puylaroque et de Élisabeth de Cambolas — morte célibataire en 1882. Marie Antoinette Félicité Charlotte de Vignes de Puylaroque est la tante maternelle d’Henri de Maurès de Malartic, le mari de la vicomtesse. Elle résidait au château de Marsac où elle est décédée le 29 novembre 1881. Née le 6 octobre 1824, elle avait alors 46 ans.
  2. Ce mariage eut lieu le 7 octobre 1867 à Chaumont. “ aussitôt mon mariage ” pourrait laisser entendre que ce voyage s’effectuât encore à l’automne 1867 ou au printemps 1868.
  3. Francisca de Souza de Rezende, fille du marquis de Vanenca, Grand de l’Empire, épouse de Hippolyte Victor comte de Cambolas, marquis de Palarin. Voir note 1 p.5.
  4. Voir le luxe de la réception sur le site mentionné dans la note 3 de l’avant-propos.
  5. Henry de Reversat de Marsac (33 ans), comte de Marsac depuis la mort de son père Victor au printemps. De sa première femme, décédée le 2 février 1861, il eut un garçon, Léon Victor (10 ans) et de sa deuxième femme, Hélène de Saint Jean de Belleud (29 ans) : deux enfants, Eugène (4 ans) et Jeanne (2 ans).
  6. Pierre Labat, 75 ans.
  7. Marie Jean Pierre Armand de Voisins-Lavernière (1788-1878), 82 ans.