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Je crois que je suis la seule de mon espèce, pas une femme ne se serait aventurée dans cette cohue de baïonnettes.

D’un groupe d’officiers s’en détache un. Il vient à moi : « Madame, me dit-il en se découvrant, il y a plus de 45 mille hommes à Chagny ; vous êtes, sans doute, étrangère au pays et si vous voulez y passer la nuit vous ne trouveriez pas un lit, pas un morceau de pain. Le dernier train va partir dans quelques minutes, car tout le matériel se replie, si vous ne le prenez pas… je ne sais ce qui vous arrivera ici ».

Je remercie l’officier et me hâte. En passant devant ce qui avait été le buffet la nounou essaye de demander un morceau de pain. « Eh ! une nounou qui réclame le merle blanc, répond un loustic. Du pain ! Rotchild, avec tous ses millions, n’en aurait pas ». Une tablette de chocolat, restant dans mon sac, Jeannot s’en contente pour son dîner, sa sœur a le sein de sa nourrice.


À 11 heures du soir nous étions au Creusot. Impossible d’aller plus loin.

Sur le seuil de la gare pas de voiture, pas un gamin, pas une lumière, une nuit d’encre et je n’étais jamais venue au Creusot.

Le seul homme qui fût encore dans cette gare (allant être abandonnée) me dit d’aller tout droit, que je trouverai la ville. Je mis les deux femmes derrière moi portant les deux enfants, en leur recommandant de tenir le bord de ma pelisse de fourrure. Puis je marchais devant elles, les bras étendus pour que les bébés ne soient pas cognés par les arbres de la route, je m’étais rendu compte que le chemin devait être bordé d’arbres. Enfin une lumière lointaine me guida puis la ville, un hôtel, une chambre !

Mais le lendemain les malles étaient perdues… On me dit que dans la journée des fourgons contenant des outils, un reste de matériel, pourraient encore arriver et rappor-