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Avec tante Félicité j’allai à Montauban, revoir la tante religieuse, puis diner chez la femme du député d’alors, à Toulouse chez les de Cambolas, les de Bermond, etc… Enfin à Castelnau pendant une dizaine de jours, le marquis et la marquise de Cambolas étaient au Brésil, il n’y avait au château que l’oncle et la tante de Puylaroque[1] et un petit bébé[2] blanc et rose, baigné chaque jour d’eau de , élevé dans du coton comme les enfants qui ont des parents âgés. Il [y] avait deux ans, aussitôt après mon mariage[3] nous étions venus assister à celui de l’oncle[4] et je ne me doutais pas que ce petit enfant, orphelin quelques années plus tard[5], serait nôtre, élevé avec mes enfants. Et à Dijon, ailleurs encore, resterait légendaire sous le sobriquet de « Popo[6] ». (c’était sa sœur, erreur de date)



Des bruits d’armistice couraient. L’Allemagne comme la France était épuisée. J’attendais avec impatience le moment du retour auprès des miens. Aussitôt la signature de cet armistice[7], je voulais partir, tenter le voyage. J’étais jeune, l’aventure, la difficulté me plaisaient ; je voulais les tenter le plus tôt possible.

Je dis adieu à cette famille en deuil, qui m’avait offert une si cordiale hospitalité. Je puis dire adieu car je ne revins pas dans le midi. D’autres épreuves m’attendaient, sans doute, ailleurs, telle est la vie…


Ce retour fut peut être plus fatiguant, plus désagréable que le voyage d’arrivée. Le pays, la France entière, était désorganisé (pour peu de temps du reste, les ressorts étaient solides, elle se remonta vite, retrouvant force et richesse au grand étonnement de l’Allemagne).

Mais les gens qu’on trouvait alors dans les trains me semblaient avoir le cerveau dérangé ; ils parlaient déjà de la revanche, de projets extraordinaires, avec une exaltation extrême. J’écoutais un peu ahurie. Je sais bien que je venais de subir une séquestration de plusieurs mois ; j’étais comme l’oiseau sorti de sa cage ; il ne sait où se poser et s’étonne de tout.

Les troupes encombraient les trains et les gares. C’était autrement désagréable qu’à l’automne. Au lieu de ces braves gens à figures honnêtes et polies, portant mes malles, caressant mes bébés aux lueurs des feux de bivouac,

  1. L’oncle était le frère de la mère du vicomte de Malartic : Marie Raymond Louis Antoine de Vignes de Puylaroque (1828-1887), ingénieur civil, maire de Castelnau d’Estrétefonds en 1872. Il avait épousé, à 39 ans, le 18 janvier 1868 à Castelnau, Marie Alexandrine Henriette Julie Élisabeth de Cambolas (1829-1887) âgée de 38 ans.
  2. Il s’agit de leur premier enfant, Marie Eugénie Antoinette Lydie, née le 2 décembre 1869 au château, et qui n’avait alors guère plus d’un an.
  3. Rappel : 7 octobre 1867 à Chaumont.
  4. Hippolyte de Cambolas, marquis de Palarin, ayant épousé la brésilienne Francisca de Souza.
  5. L’année de ses quinze ans, il perd sa mère le 19 janvier 1887 et son père neuf mois plus tard le 10 octobre.
  6. Comme le fait remarquer, entre parenthèse, le colonel Reverdy, ce bébé dont parle la vicomtesse ne peut être que leur fille aînée. « Popo » est le sobriquet tout naturel de leur second enfant Hippolyte.
    Jean François Hippolyte Gaston, est né le 7 février 1872 au château de Castelnau-d’Estrétefonds, fils de Marie Raymond Louis Antoine de Vignes de Puylaroque (1828-1887) et de Marie Alexandrine Henriette Julie Élisabeth de Cambolas (1829-1887). Le vicomte Henri de Malartic et Hippolyte sont cousins germains avec un écart de 32 ans ! La famille du vicomte accueille en 1887, Hippolyte orphelin de quinze dans leur hôtel à Dijon. Quatre ans plus tard, il entre à Polytechnique. Diplômé de l’École Polytechnique (X 1891), il fera une belle carrière militaire : Médaille coloniale avec agrafe Madagascar (1899), Officier de l’Ordre d’Anjouan (21 avril 1902), Chevalier de l’Ordre du Dragon de l’Annam (22 février 1908), Officier de la Légion d’Honneur (4 janvier 1917), Croix de guerre 1914-1918 avec palme, Commandeur de la Légion d’Honneur (21 décembre 1926) Général de Brigade (1829). 36 ans de services dans l’Artillerie des Troupes coloniales à Madagascar, Indochine française (Vietnam) et Maroc ; 18 campagnes, 2 blessures, 1 citation.
    Il se marie avec Agathe Fanny Henriette Delpit le 30 juin 1914 à Reims et auront quatre garçons et trois filles. Décède à 65 ans, le 2 février 1938.
  7. 26 janvier 1871