Page:Carnets de la vicomtesse.pdf/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10

de n’avoir pas supprimé le journal afin qu’il ne puisse me tomber sous la main, comme on avait fait, paraît-il, la veille pour des journaux à mon adresse, que la famille avait brûlés, afin que je ne les lusse pas (cette assemblée de famille décrétant de jeter les journaux au feu pour qu’ils ne parviennent pas au destinataire ?). Alors je bondis : « Vous deviez penser, ma tante, que si mon mari n’est plus, c’est à moi à le savoir la première et je n’admets pas, qu’ici, on supprime ma correspondance. Les femmes de votre pays sont donc des guenilles… ». La pauvre, bonne et excellente tante était navrée.

Le lendemain je recevais une lettre d’Henry (l’une des trois arrivées). Il me faisait le récit du combat de Longeon[1] de la mort du comte de Regel, tué d’une balle en pleine poitrine ; il avait presque reçu la mort à la place d’Henry qui devait faire cette sortie. Le général ayant besoin de lui ailleurs, M. de Regel avait eu l’ordre de prendre le commandement au dernier moment. C’était un homme charmant, nous connaissions toute sa famille.

Quant aux journaux, je le sus après la guerre, c’étaient mes parents qui me les envoyaient afin que je lusse le combat de Longeon, les opérations autour de Langres, etc…


Après ce petit incident, la vie calme et unie de Marsac reprit son cours ; mais la fièvre des nouvelles hantait notre montagne ; Louis de Marsac allait quelquefois à Toulouse. Un soir qu’il en revenait tard, il ouvrit la porte du salon d’un geste théâtral, resta debout dans l’encadrement de cette porte, comme une statue de l’antique et quand tous les yeux furent fixés sur lui, il laissa tomber ces paroles : « Paris est débloqué ! ». À côté de ce geste, de cette intonation, Talma, Rachel n’avaient jamais existé. On n’est pas de Gascogne pour rien… Hélas ! Une heure après, la grande nouvelle n’était qu’un vulgaire canard.

La bataille de Coulomier[2] (Général d’Aurelle de Paladines) eut quelque écho ici. Le neveu du vainqueur faisait partie de la famille et son petit-fils était le fils de Louis de Marsac qui l’avait eu d’un premier mariage avec la fille du général. C’était un garçon d’une dizaine d’années tandis que ceux de Mlle de Belleud étaient des bébés.

  1. Longeau à 12 km au sud de Langres, fut le lieu d’âpres combats entre Français et Prussiens le 16 décembre 1870.
  2. Bataille de Coulmiers (Loiret) du 9 novembre 1870.