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fondement et la règle unique du droit. Il en était ainsi, même pour les princes séparés de la communion du saint-siége, car leur puissance provenait de l’idée même qu’ils avaient malheureusement répudiée ; et d’ailleurs, en signant le traité de la Sainte-Alliance sous l’inspiration du mystique Alexandre, les souverains non catholiques semblaient, selon M. de Lamennais, avoir rendu un hommage, au moins involontaire, à ce principe fondamental dans toute l’Europe chrétienne.

Métaphysicien et polémiste, l’abbé de Lamennais poursuivit simultanément deux projets. Refusant à l’intelligence le pouvoir d’atteindre à la certitude par ses propres forces, il prétendit donner pour base unique à celle-ci le témoignage universel, fondant sur ce principe toute une philosophie qui, après l’avoir brouillé avec la raison, ne tarda pas à le brouiller avec l’Église. Appliquant la doctrine de l’autorité dans l’ordre des faits, comme il s’était efforcé de le faire dans celui des idées, il entreprit de relever l’édifice du vieux droit catholique européen renversé depuis le traité de Westphalie, et consacra dix ans d’objurgations éloquentes à réclamer dans nos lois civiles et dans nos institutions politiques des changements auxquels le cours de l’opinion opposait des résistances insurmontables. Ces résistances se révélèrent enfin à l’écrivain lui-même avec un tel degré d’évidence qu’il recula tout à coup devant la crainte de les provoquer au détriment de l’intérêt sacré dont il servait encore la cause.

Comme une comète échevelée, M. de Lamennais, quittant une position qu’il jugeait intenable, se rejeta