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Après une navigation contrariée par une tempête qui me jeta sur la côte d’Irlande, j’arrivai enfin à Falmouth, le vingt-deuxième jour de mon départ de Lisbonne. La vapeur n’était encore employée nulle part en Angleterre sur les grandes lignes ferrées. Ce fut donc dans une voiture publique que je traversai la Cornouaille, cette sœur celtique de ma Bretagne, et le vert comté de Devon, cette Normandie de l’Angleterre. Établi sur l’outside d’une très-confortable diligence, je contemplais avec bonheur ces paisibles campagnes où paissent et reposent de nombreux troupeaux, en harmonie de formes et d’attitudes avec un plantureux paysage ; j’avançais observant tout, et jouissant de tout, comme il est interdit de jouir, depuis qu’à l’intérêt d’arriver il a fallu sacrifier le plaisir de voyager.

À Londres, dont je saluai de loin la silhouette colossale se dessinant dans le brouillard comme une cité fantastique du peintre Martin, je descendis à l’ambassade, sans d’ailleurs y résider. M. le prince de Polignac, qui en était le titulaire, se trouvait alors à Paris, préparant déjà, contre le cabinet de MM. de Martignac et de la Ferronnays, la trame qui emporta la monarchie. Je reçus l’autorisation, vivement souhaitée, de passer quelques semaines en Angleterre avant de rentrer à Paris, et je ne manquai pas d’en profiter.

Rien n’inspire une plus profonde tristesse que le premier coup d’œil jeté sur l’immense métropole britannique. La monotonie de constructions sans caractère, allant se perdre dans des alignements sans fin,