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CONFÉRENCE V.

prendre pied là. Jusqu’à un certain point, ils étaient des Fils de la Nature encore une fois dans un âge d’Artifice ; encore une fois, des Hommes Originaux.

Johnson par exemple, je l’ai toujours considéré comme étant, par nature, une de nos grandes âmes Anglaises. Un homme noble et fort ; tant de choses restées sans développement en lui jusqu’à la fin : dans un élément plus clément, que n’eût-il pas pu devenir, — Poète, Prêtre, souverain Régulateur ! En somme, il ne faut pas qu’un homme se plaigne de son « élément », de son « temps », et autre choses semblables ; il perd sa pleine, ce faisant. Son temps est mauvais : eh bien donc ! il est là pour le rendre meilleur ! — La jeunesse de Johnson fut pauvre, isolée, sans espoir, très misérable. En vérité, il ne semble pas possible que, dans les circonstances extérieures les plus favorables du monde, la vie de Johnson eût pu être autre chose que douloureuse. Le monde aurait pu tirer de lui plus de travail profitable, ou moins ; mais l’effort de Johnson contre l’œuvre du monde n’aurait jamais pu être un effort léger. La Nature, en retour de sa noblesse, lui avait dit : vis dans un élément d’affliction et de maladie. Oui, peut-être l’affliction et la noblesse étaient-elles intimement et même inséparablement connexes l’une avec l’autre. En tout cas, le pauvre Johnson devait aller çà et là environné d’hypocondrie continuelle, de douleur physique et spirituelle. Comme un Hercule, ayant sur lui la robe brûlante de Nessus, qui lui darde une sourde et incurable misère : cette robe de Nessus indépouil-

1. 1709-1784.