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tel mépris pour les droits et l’honneur de la femme, depuis l’époque de Charles le Téméraire avec ses bons bouchers, jusqu’à celle des noyades et de la guillotine de la Révolution.

À chaque progrès cependant dans la consolidation de la terre, nous voyons des exemples de femmes devenues les arbitres des destinées du pays. — L’histoire, à partir de l’époque de Frédégonde et de Brunehaut, jusqu’à celle de Maintenon, de Pompadour et de la Du Barry, nous montre la nation soumise à l’influence féminine, comme ne le fut jamais aucune autre. Après l’adoption définitive du système de Colbert, un changement s’opère. — Par l’effet du système, la terre se divise ; — les droits féodaux disparaissent, — et le petit propriétaire, en état désormais de défendre l’honneur de sa femme et de ses filles, prend peu à peu la place que naguère avaient occupée si complètement le clergé et la noblesse. La division étant poussée plus loin, comme une conséquence de la révolution, la classe des libres propriétaires augmente constamment, — des millions d’hommes, dont les prédécesseurs n’avaient été à peu près que de vrais serfs, possèdent aujourd’hui des terres, des maisons, une demeure en propre dont la femme a la direction suprême[1]. Là, cependant, comme partout, nous voyons la centralisa-

  1. « Une autre circonstance qui frappe le voyageur, c’est l’effet qu’a produit sur l’apparence et la condition du sexe féminin la division de la terre entre les classes laborieuses. Les femmes ne sont point exemptes du travail des champs, même dans les familles de paysans propriétaires fort aisés, dont les maisons sont aussi bien pourvues qu’aucun presbytère de notre pays. Toutes travaillent autant que le peut faire l’homme le plus pauvre. Cependant, comme la terre est à eux, ils ont le choix de la besogne, et celle qui est rude se fait par les hommes. Abattre et apporter an logis le bois à brûler, faucher l’herbe généralement, mais pas toujours, porter à dos le fumier, conduire les chevaux et les bœufs, remuer la terre, et toute rude besogne est l’affaire de l’homme ; semer, lier la vigne et l’émonder, soigner le verger, et d’autres menus travaux, c’est l’affaire de la femme. Mais les femmes, tant en France qu’en Suisse, me paraissent jouer un rôle bien plus important dans la famille, chez les classes inférieures et moyennes, que les nôtres. La femme, sans pour cela être exempte du travail du dehors et même d’un rude travail, entreprend la direction et le maniement des affaires de la famille ; le mari n’est que l’agent qui exécute. La femme est, de fait, très-supérieure au mari en manières, en habitudes, en tact, en intelligence, dans la plupart des familles des classes moyennes et inférieures dans la Suisse… En France, aussi, la femme partage pleinement le soin des affaires avec le chef mâle de la famille, en tenant les livres et en vendant les marchandises. Dans les deux pays, elle a certainement une position sociale plus élevée et plus rationnelle que chez nous. Cela me semble résulter de la division de la propriété, qui fait que la femme a sa part et son intérêt aussi bien que l’homme, et grandit avec le même